Olivier Père

Bernadette Lafont (1938-2013)

Disparue jeudi 25 juillet, Bernadette Lafont était la fiancée de la Nouvelle Vague, l’une des égéries principales, avec Anna Karina et Stéphane Audran, de ce vent de liberté et de jeunesse qui souffla sur le cinéma français à partir de la fin des années 50.

Le début de la carrière de cette jolie nîmoise est intimement lié aux jeunes Turcs issus des « Cahiers du Cinéma » qu’elle fréquente lors de son arrivée à Paris et qui la font tourner dans leurs premiers courts et longs métrages.

C’est en effet François Truffaut qui lui offre sa première apparition à l’écran dans son célèbre court métrage Les Mistons, tourné à Nîmes en 1957. Elle y joue la sensuelle jeune femme à bicyclette observée par les garnements du titre, aux côtés de Gérard Blain, nouveau visage du cinéma français (Voici le temps des assassins de Julien Duvivier avec Jean Gabin, sorti un an plus tôt) qu’elle vient d’épouser.

Le mariage ne durera que deux ans mais le couple aura le temps de partager l’affiche d’un autre film important, Le Beau Serge (1958), premier long métrage de Claude Chabrol. Bernadette Lafont retrouve Chabrol pour Les Bonnes Femmes en 1960. C’est l’un des chefs-d’œuvre de son auteur, mais le film reçoit un accueil désastreux au moment de sa sortie (il sera jugé misogyne et même fasciste.) Bernadette Lafont, entourée de Stéphane Audran et Clotilde Joano y peaufine avec le rôle de la vendeuse Jane un personnage qui va longtemps lui coller à la peau : celui d’une jeune femme sexy, indolente et insolente. Cette brunette rigolote aux mensurations de pin-up et qui idolâtre Brigitte Bardot va paradoxalement devenir l’anti star par excellence. Comme Jean-Pierre Léaud son équivalent masculin qu’elle croisera à plusieurs reprises derrière la caméra Bernadette Lafont marque l’irruption d’un corps, d’une attitude et d’un phrasé résolument modernes dans le cinéma des années 60. La jeune femme revendique ce mélange précieux et explosif de bagout hérité des actrices françaises populaires des années 30, de rébellion anticonformiste et antibourgeoise, et n’a pas peur des incursions dans le cinéma intellectuel, poétique ou d’avant-garde qui fleurit à l’époque.

Les cinéastes de la Nouvelle Vague resteront fidèles à Bernadette Lafont – et réciproquement – puisqu’elle continuera d’apparaître dans leurs films bien après la fin du mouvement. François Truffaut lui offre le rôle titre d’Une belle fille comme moi en 1972, elle participe un an plus tôt à l’aventure expérimentale de Out 1 (adaptation moderne de « L’Histoire des Treize » de Balzac par Jacques Rivette en un film partiellement improvisé de douze heures trente), retrouve Chabrol avec Violette Nozière, Inspecteur Lavardin, Masques.

Bernadette Lafont, actrice intelligente et très cinéphile, aura été l’interprète de nombreux compagnons de route ou héritiers de la Nouvelle Vague, et surtout de ses deux plus talentueux fils spirituels : Philippe Garrel et son sublime Le Révélateur (1968), film poème muet de la période Zanzibar du réalisateur ; La Maman et la Putain (1973) de Jean Eustache, chef-d’œuvre définitif de la génération post-68. Familière des cimes du cinéma d’auteur français, versant grand public (L’Effrontée de Claude Miller) ou versant underground (par exemple Paul de Diourka Medveczky second mari de l’actrice), Bernadette Lafont dont le bagout comique et la fantaisie étaient intarissables ne rechignait pas non plus à fréquenter les productions populaires (où elle était très demandée jusqu’à sa disparition.) Elle obtiendra son plus grand succès personnel avec La Fiancée du pirate (1969) de Nelly Kaplan, comédie sociale aux accents anarchistes et féministes qui coïncident avec ses propres idées et sa personnalité. A la fin des années 70 et dans les années 80 sa filmographie « s’enrichit » de comédies farfelues à la mode du moment, assez oubliables mais aux titres qui fleurent bon le nanar : Le Trouble-fesses, Chaussette surprise, La Frisée aux lardons, Nous maigrirons ensemble, Arrête de ramer t’attaque la falaise, On n’est pas sorti de l’auberge… Ces monuments d’humour navrant n’entameront en rien sa crédibilité et sa cote d’amour auprès des spectateurs.

Dans le registre de l’humour et de la farce c’est Jean-Pierre Mocky qui emploiera Bernadette Lafont avec le plus de talent, dans une série de comédies grinçantes, prétextes comme toujours chez Mocky à de réjouissants numéros d’acteurs : Le Pactole, Les Saisons du plaisir, Une nuit à l’assemblée nationale, Ville à vendre.

 

En hommage à Bernadette Lafont ARTE bouscule sa grille des programmes et proposera lundi 29 juillet à 20h50 l’un des plus grands films de l’actrice : La Maman et la Putain de Jean Eustache, sur lequel nous reviendrons le jour de sa diffusion.

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