Olivier Père

Jackie Brown de Quentin Tarantino

Dans le cadre du « Summer of Soul » ARTE diffuse ce soir à 20h47 Jackie Brown (1997) de Quentin Tarantino. Jackie Brown reste à ce jour l’un des meilleurs titres du cinéaste américain, un film noir hawksien sur le vieillissement du même, les thèmes de la survie et de la seconde chance, qui est avant tout une déclaration d’amour à deux acteurs marqués par le temps, rescapés des années 70, Pam Grier (superbe icône de la « Blaxploitation ») et Robert Forster. Ce dernier avait été révélé par Reflets dans un œil d’or de John Huston avec Marlon Brando et Elizabeth Taylor en 1967 puis progressivement oublié par les directeurs de casting. Excellent acteur, Forster n’a jamais accédé au vedettariat et on l’a retrouvé au générique de quelques très bons films des années 60, 70 et 80, polars, westerns ou films d’action pas forcément très connus mais choyés par une certaine frange de la cinéphilie à laquelle appartient Quentin Tarantino : L’Homme sauvage de Robert Mulligan, Medium Cool d’Haskell Wexler, Don Angelo est mort de Richard Fleischer, L’Incroyable Alligator de Lewis Teague, Vigilante de William Lustig et même le super nanar Delta Force de Menahem Golan où il jouait le vilain terroriste arabe opposé à Chuck Norris !

Robert Forster dans Jackie Brown

Robert Forster dans Jackie Brown

Tarantino a un indéniable amour pour les acteurs. Un amour de spectateur, qui aurait envie de confier des rôles dignes de son admiration à ses héros personnels du grand écran. On a oublié qu’avant son retour triomphal dans Bad Lieutenant et Reservoir Dogs Harvey Keitel avant zoné pendant toutes les années 80 dans des films de seconde catégorie, et que John Travolta doit à Tarantino et Pulp Fiction le plus spectaculaire come back de ces trente dernières années. Dans Jackie Brown, aux côtés d’un autre rescapé, Robert Forster, Tarantino offre à Pam Grier un rôle magnifique, et c’est quasiment inespéré. Pour beaucoup d’amateurs de cinéma bis et d’exploitation, Pam Grier était une idole, la reine incontestée de la « Blaxploitation », qui n’eut jamais en Europe qu’un nombre limité d’admirateurs mais qui dans les années 70 était une des actrices les plus rentables d’Hollywood, entre Barbra Streisand et Liza Minnelli! Alors que ses derniers admirateurs étaient réduits à guetter d’épisodiques apparitions dans quelques sympathiques films d’action ou de science-fiction (La Foire des ténèbres, Nico, Frankenstein 2000), John Carpenter (Los Angeles 2013) puis Tim Burton (Mars Attacks!) leur offrirent des joies plus conséquentes. Dans Jackie Brown, Pam Grier est magnifique, émouvante, plus belle que jamais. Et dans presque tous les plans…

Samuel L. Jackson et Pam Grier dans Jackie Brown

Samuel L. Jackson et Pam Grier dans Jackie Brown

Jackie Brown (Pam Grier), hôtesse de l’air, arrondit ses fins de mois en convoyant de l’argent liquide pour le compte d’un trafiquant d’armes, Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). Un jour, un agent fédéral et un policier de Los Angeles la cueillent à l’aéroport. Ils comptent sur elle pour faire tomber le trafiquant. Jackie échafaude alors un plan audacieux pour doubler tout le monde lors d’un prochain transfert qui porte sur la modeste somme de cinq cent mille dollars. C’est un film atypique dans la filmographie de Tarantino, auteur complet. C’est en effet l’unique fois – pour l’instant – qu’il adapte un roman et ne part pas d’un scénario original. On connaît les talents d’écriture de Tarantino, qui a exprimé un jour en public le désir qu’on se souvienne de lui comme un écrivain davantage qu’un cinéaste. Sa virtuosité est en effet du côté du récit, de la direction d’acteurs et des dialogues davantage que des effets de caméra, même si les subtils plans séquences de Jackie Brown témoignent d’une maîtrise du temps et de l’espace digne de Robert Altman. L’intrigue empruntée à un roman de Elmore Leonard, « Punch créole » sert de prétexte à un film élégant et mélancolique qui privilégie, sans esbroufe, les plages sentimentales et met constamment en valeur l’interprétation juste et émouvante de ses interprètes principaux (sans parler des seconds rôles, un Robert De Niro assez génial en tête), avec de très longs plans et des scènes de conversations avoisinant les dix minutes qui procurent une sensation de réalisme et d’intimité.

Avant d’en faire un principe esthétique fondateur dans ses films suivants, Tarantino parsème Jackie Brown de nombreuses citations, références et clins d’œil cinéphiliques, preuves de l’éclectisme de ses goûts et de son amour compulsif pour le cinéma : entre autres Et tout le monde riait… de Peter Bogdanovich, Le Lauréat de Mike Nichols, La belva col mitra de Sergio Griego (extrait à la télévision), Vampyros Lesbos de Jess Franco (dont on entend un extrait de la bande originale), Meurtres dans la 110e rue de Barry Shear dont Tarantino réutilise la chanson de Bobby Womack pour le générique de début de Jackie Brown.

Le recours quasi systématique de musiques ou chansons préexistantes composées pour d’autres films, sous forme de reprises ou de versions originales deviendra également une marque de fabrique de Tarantino à partir de Kill Bill, transformant le cinéaste en une figure inédite au cinéma, celle du DJ compilateur, érudit et boulimique.

 

 

 

 

 

Catégories : Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *