Olivier Père

Richard Matheson (1926-2013)

L’écrivain et scénariste américain Richard Matheson est décédé le 23 juin, à l’âge de 87 ans. Il était l’un des meilleurs représentants de la science-fiction moderne, grâce à des chefs-d’œuvre du genre comme Journal d’un monstre en 1950 (sa première nouvelle), Je suis une légende en 1954, L’homme qui rétrécit en 1956, Le Jeune Homme, la mort et le temps en 1975…

L'homme qui rétrecit

L’homme qui rétrécit

Matheson fait des débuts fracassants au cinéma en 1957 en adaptant son propre roman L’homme qui rétrécit pour le réalisateur Jack Arnold, avec le succès que l’on sait. Il continuera d’adapter ses propres romans et nouvelles pour le petit et le grand écran, souvent avec beaucoup de réussite : Duel, réalisé pour la télévision par le débutant Steven Spielberg en 1971 est si impressionnant qu’il sera distribué dans les salles de cinéma en dehors des Etats-Unis, coup de maître précoce d’un jeune cinéaste qui a parfaitement intégré la leçon d’Alfred Hitchcock et parvient à tirer le meilleur d’une histoire angoissante d’automobiliste traqué par un camion fou sur les routes du désert de Californie. Une fiction du dérèglement et un récit typique du style de Matheson qui était capable de faire surgir l’épouvante et le fantastique de l’environnement le plus banal et quotidien, comme plus tard l’un de ses disciples, Stephen King.

Duel

Duel

Matheson avait aussi adapté son roman Hell House en 1973 (La Maison de damnés de John Hough, chouette film) et en 1980 Le Jeune Homme, la mort et le temps porté à l’écran par Jeannot Swarc sous le titre Quelque part dans le temps, belle histoire d’amour et de voyages temporels hélas gâchée par une mise en scène trop télévisuelle.

La Maison des damnés

La Maison des damnés

Mais Richard Matheson avait aussi écrit des épisodes pour les séries « Star Trek » et « La Quatrième Dimension », et adapté quelques célèbres romans comme le Dracula de Bram Stoker (Dracula et les femmes vampires de Dan Curtis en 1974 avec Jack Palance dans le rôle du vampire, vaut le coup d’œil), ou Chroniques martiennes de Ray Bradbury réalisé par Michael Anderson, toujours pour le petit écran.

Dans les années 60 Matheson avait travaillé aussi bien pour la firme américaine AIP (le fameux cycle Poe de Roger Corman) que pour la Hammer britannique (les formidables Vierges de Satan de Terence Fisher d’après un roman de Dennis Weathley), plus un autre film de sorcellerie anglais Night of the Eagle de Sidney Hayers sans oublier une biographie filmée du Marquis de Sade fantaisiste mais plutôt intelligente et à la production très mouvementée, De Sade de Cy Endfield dans laquelle trempa aussi Corman.

The Last Man on Earth

The Last Man on Earth

Avant différentes versions cinématographiques (la dernière date de 2007, avec Will Smith, pas terrible), il y a un chef-d’œuvre de la littérature de science-fiction. Je suis une légende est une modernisation du mythe du vampire. Le vampirisme n’y est plus appréhendé comme une malédiction mais comme une maladie contagieuse (un virus a transformé ce qui reste de la population mondiale en monstres photophobiques assoiffés de sang), anticipant l’horreur génétique des premiers films de Cronenberg. Matheson se déclara insatisfait de The Last Man on Earth (1964), la première adaptation de son roman, coproduction italo-américaine réalisée par Sidney Salkow et Ubaldo Ragona selon le principe des doubles versions. Pourtant, tourné avec un budget minimaliste dans la banlieue désertique de Rome et porté par l’interprétation géniale de Vincent Price, cette bande distille un climat d’angoisse dont Romero se souviendra lorsqu’il réalisera La Nuit des morts-vivants, sur un postulat d’ailleurs assez proche. Le Survivant (The Omega Man, 1971) de Boris Sagal (un transfuge de la télévision), palpitant thriller de science-fiction, entérine le statut de surhomme futuriste de Charlton Heston, après La Planète des singes et Soleil Vert. Série B de luxe, surfant sur la mode des films catastrophe mais aussi de la « blaxploitation » et anticipant le filon post apocalyptique qui triomphera dans les années 80 avec New York 1997 et Mad Max, Le Survivant est un must pour les amateurs de science-fiction des années 70 et contient quelques passages magnifiques, comme les déambulations de Charlton Heston dans un Los Angeles désertique, le même se projetant Woodstock dans une immense salle de cinéma vide, les assauts nocturnes des contaminés à l’apparence de vampires albinos encapuchonnés, conduits par un chef de secte aux allures de Jim Jones… Un pur produit « camp » comme savait en fournir Hollywood dans les années 70, qui déplut aussi à Matheson. On ignore ce qu’il pensait de la version avec Will Smith, mais elle dût lui rapporter suffisamment d’argent pour qu’il n’émette aucune critique désobligeante.

Le Survivant

Le Survivant

Matheson n’a pas cessé d’être adapté à l’écran, même s’il n’a pas participé aux scénarios de The Box de Richard Kelly (2009) et Real Steel de Shawn Levy (2011) que nous n’avons pas vu. En revanche on se souvient bien, pour le pire et le meilleur, de deux films tirés de ses livres à la fin des années 90.

Au-delà de nos rêves réalisé par Vincent Ward en 1998 est l’histoire d’un couple très amoureux qui a vécu la douloureuse épreuve du décès de leurs enfants. Lorsque le mari meurt à son tour, il se retrouve au Purgatoire en train d’évoluer dans les toiles restaurées par sa femme, passionnée par la peinture… On est presque tenté tout au long de ce mélo fantastique de se pincer tant le film de Vincent Ward regorge d’idées d’une bêtise et d’un mauvais goût stupéfiants. Visuellement à vomir (Robin Williams se baladant dans des incrustations vidéo de tableaux très laids, pataugeant dans la peinture pas fraîche, accompagné d’angelots) et surchargé de pathos ce film est un navet écœurant, une croûte dégoulinante au propre comme au figuré, définitivement irregardable, même pour les amateurs endurcis d’aberrations cinématographiques.

Hypnose (Stir of Echoes, 1999) de David Koepp (photo en tête de texte), avec Kevin Bacon compte au contraire parmi les bons films fantastiques de la décennie, à une époque où les fantômes étaient revenus à la mode dans le cinéma américain grâce au succès de Sixième Sens. Un ouvrier père de famille, hypnotisé lors d’une soirée entre amis, devient la victime d’une série d’hallucinations terrifiantes, pour lui et pour le spectateur (effets saisissants d’ongle et de dent arrachés.) Il va comprendre que la jeune fille qu’il est le seul à voir est un spectre qui lui réclame de l’aide afin de ne pas laisser son meurtre impuni. Plusieurs qualités font de ce second film du scénariste de De Palma (Mission : impossible) et de Spielberg (Jurassic Park) David Koepp une agréable réussite après le raté Réaction en chaîne. D’abord, il s’agit d’une adaptation intelligente d’une nouvelle de Richard Matheson, écrivain qui représente le lien parfait entre les mythes fantastiques et leur résurgence contemporaine. Koepp l’a bien compris et situe cette histoire somme toute classique de fantômes et de possession dans un contexte social très précis et décrit de façon plutôt crédible : le prolétariat américain, ce qui nous change des névroses de la upper middle class. Les soucis du héros sont très concrets au début du film : problèmes d’argent, menaces de licenciements, crise conjugale, ce qui rend sa brusque plongée dans le surnaturel encore plus déstabilisante. Même si le film est vers la fin assez prévisible (son scénario évoque pas mal de classiques du genre, comme Dead Zone de Cronenberg ou L’Enfant du diable de Peter Medak) Hypnose est porté du début à la fin par l’interprétation convaincante de Kevin Bacon.

Richard Matheson

Richard Matheson

Avec plus de deux cents nouvelles, de nombreuses contributions à des films et téléfilms, l’œuvre et la carrière de Matheson recèlent sans doute d’autres pépites cachées. Il était également l’auteur de quelques romans policiers. De la part des copains avait été adapté par Terence Young en 1970 avec Charles Bronson, et Les Seins de glace en 1974 par Georges Lautner avec Alain Delon, sans que ces coproductions européennes ne comptent parmi les titres les plus marquants des principaux intéressés.

Sur L’homme qui rétrécit, lire aussi :

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2010/12/10/lhomme-qui-retrecit-de-jack-arnold/

Sur les adaptations d’Edgar Poe réalisées par Roger Corman :

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/04/01/roger-corman-et-le-cycle-edgar-poe/

 

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