Olivier Père

L’Inconnu du lac – entretien avec Alain Guiraudie

Demain sort en France L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, distribué par Les Films du Losange (en tête de texte, Alain Guiraudie (à droite) avec les acteurs du film Patrick d’Assumçao (Henri), Pierre Deladonchamps (Franck), Christophe Paou (Michel), photographiés par Paul Blind.) Très remarqué et apprécié au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, récompensé par le Prix de la mise en scène et la Queer Palm, vendu dans une quinzaine de territoires dans le monde (et ce n’est pas fini), le quatrième long métrage d’Alain Guiraudie est produit par Les Film du Worso et coproduit par ARTE France Cinéma. Nous avons déjà évoqué ici ce film que nous aimons beaucoup lors de sa présentation à Cannes, avec notamment des rencontres filmées avec Alain Guiraudie et sa productrice Sylvie Pialat. Nous vous invitons bien sûr à vous précipiter dans les salles dès mercredi pour le découvrir et avons souhaité reproduire aujourd’hui un long entretien avec le cinéaste mené par Hélène Frappat, réalisé le 22 avril pour le dossier de presse du film. Nos sincères remerciements aux intéressés.

 

 

Le film m’a fait penser à Georges Bataille : l’érotisme, la sexualité, la pornographie, la fascination du mal…

On commence fort ! Je crois qu’il serait un peu exagéré de dire que Bataille est à l’origine du scénario. La fameuse phrase  « l’érotisme est l’acceptation de la vie jusque dans la mort » m’avait énormément frappée quand je l’avais lue il y a longtemps. Je l’avais oubliée, et puis on en a reparlé en préparant le tournage et je me suis dit que ça avait travaillé souterrainement. Et je me suis aperçu qu’il y avait d’autres aspects de la pensée de Bataille qui recroisaient mes préoccupations : la manière de superposer les questions de l’érotique, du politique et de l’économie au sens large, vital.

L’érotisme, et non la pornographie, est la question centrale de L’Inconnu du lac, où deux hommes tombent amoureux en faisant l’amour. Est-ce que L’Inconnu du lac prolonge les scènes de sexe entre hommes, à la fin du Roi de l’évasion ?

Disons que ça va à la fois au-delà et contre Le Roi de l’évasion. En terme de sexualité, j’ai toujours tourné autour du pot. Je ne me suis jamais vraiment confronté à la représentation de ma propre sexualité. Les premières scènes de sexe, de corps à corps, d’étreintes amoureuses et de baisers que j’ai filmées, dans Le Roi de l’évasion, ont lieu entre un homme et une femme — c’est l’histoire de Curly et Armand. Il était peut-être temps pour moi d’en venir aux choses sérieuses. De représenter les choses de l’amour… Pas l’amour pour rigoler, l’amour amitié comme je l’ai souvent fait… Mais l’amour passion. Dans L’Inconnu du Lac, je voulais me coltiner vraiment à ce que c’est que d’avoir quelqu’un dans la peau : jusqu’où ça peut aller ?

Du coup, je suis parti d’un monde que je connais très bien, pour en tirer tous les fils qui m’intéressent : le soleil, l’eau, la forêt, des éléments érotiques forts et lyriques en quelque sorte. Et puis l’amour, la passion, c’est la grandeur des sentiments mais c’est surtout le sexe. Je voulais m’y confronter réellement, d’une manière différente, en faisant se côtoyer, au sein de mêmes séquences, à la fois l’émotion amoureuse et l’obscénité du sexe, ce qu’on appelle la pornographie, sans opposer, comme on le fait souvent, la noblesse des sentiments d’un côté, et le fonctionnement trivial des organes de l’autre.

Ça demandait aussi une plus forte implication des comédiens et la question s’est vite posée de savoir jusqu’où ils iraient… Mais aussi jusqu’où je désirais vraiment les emmener. Sachant que j’avais prévu d’entrée de jeu d’avoir recours à des doublures pour les plans de sexe non simulés.

Dans Le Roi de l’évasion, l’homosexuel traversé par la tentation de l’hétérosexualité posait des questions liées au couple, à la société, et pas seulement à la norme. D’une certaine manière, dans Le Roi de l’évasion l’homosexualité était « de gauche », autrement dit anarchiste, partageuse, partouzarde…

Hédoniste…

Utopiste. Dans L’Inconnu du lac, la question politique est beaucoup plus complexe. La sexualité (et pas uniquement l’homosexualité, au sens où la sexualité constitue pour chaque être humain sa propre énigme, qui ne se résume en rien au fait d’être homosexuel ou hétérosexuel) est plus du côté de l’individu et de l’individualisme.

On a beaucoup parlé des utopies amoureuses, d’un cinéma de l’utopie. J’avais envie de mettre à l’épreuve ces discours, en proposant une mise en scène de la sexualité plutôt documentaire, et non en recréant un monde fantaisiste qui s’accorderait à mes désirs. J’avais envie de filmer ce qui se passe dans le microcosme homosexuel, de peindre ce genre de lieux de drague.

Pour vous, ce monde recrée une mini société, ou bien il s’inscrit en-dehors de la société et des normes hétérosexuelles de la famille ? Votre film est cosmique : la peinture du monde passe par la lumière, l’eau, les éléments. Les personnages sont seuls au monde dans un univers clos. Vous avez l’impression d’être revenu d’une forme d’utopie, dans la mesure où pour vous, au départ, faire du cinéma avait à voir avec l’utopie ?

Oui, c’était une façon de refaire le monde. Mais le discours ambiant sur l’utopie m’énerve un peu, parce que j’ai l’impression que les utopies amoureuses n’ont plus rien à voir avec l’utopie. Aujourd’hui, tout semble à peu près possible. Le terme fait désormais partie de l’argumentaire du marketing. Or l’utopie, c’est le lieu qui n’existe pas, un point de mire invisible dont chacun a besoin pour vivre. Et le cinéma, c’est quand même du réel. Même si c’est du réel sublimé. Je ne fais pas un cinéma de l’utopie même si quand je conçois un projet, quand j’invente des rapports entre des personnages, c’est évidemment de ce côté-là que je lorgne.

L’Inconnu du lac introduit une rupture formelle dans votre œuvre : c’est un film classique, au sens hollywoodien du terme.

Il introduit aussi une rupture de fond…

Vous avez connu une crise esthétique ou existentielle ?

En fait, à presque 50 ans, je me rends compte que je suis en perpétuelle crise existentielle et du coup, en perpétuelle crise esthétique. J’ai fait des films décalés d’entrée de jeu, des films qui proposaient un monde réinventé, qui résistait au naturalisme. Le Roi de l’évasion obéissait encore à ce principe, un homosexuel quadragénaire qui tombe amoureux d’une jeune fille, c’est tout à fait possible mais en l’occurrence, c’était une vue de l’esprit. Puis je me suis dit qu’il fallait affronter le monde tel qu’il est. Je n’avais plus envie de faire un pas de côté en ayant recours à la fantaisie, en le remodelant suivant mes désirs. Là où j’en suis, et là où le monde en est, l’enjeu du cinéma ne me semble plus de proposer un autre monde mais de faire avec le monde tel qu’il est, l’aborder sous un autre angle et donner à le voir autrement. C’est ce monde-ci qu’il faut emmener ailleurs.

Et puis j’avais envie de sortir de la mise à distance, de rentrer dans le vif du sujet… Éprouver l’expérience du désir, la rendre palpable. Une vraie pudeur me réfrénait dans cette quête, la distance, c’est aussi parfois rassurant. Là, j’ai la sensation d’avoir enfin lâché la bride. Jusqu’alors, du fait de cette pudeur, la comédie avait souvent tendance à prendre le dessus sur l’inquiétude qui traverse mes films. Ici, je tenais à ce que le mouvement soit vraiment inverse.

Le décor a quelque chose de théâtral, au sens de la tragédie antique, avec l’unité de lieu, et le récit qui se construit par la lumière, l’avancée du jour vers la nuit, les variations du temps qui installent un sentiment de durée. Le film n’est plus formellement dans l’utopie, mais il a gardé de la fable un élément du conte : la forêt qui cache un secret excitant. Sexe, meurtre, sang, danger : chaque élément est double, à l’image du lac.

On a beaucoup pensé le film dans une simplification, un travail d’épure, de la géographie d’abord, des parcours, du découpage. Avec Roy Genty et Laurent Lunetta qui ont suivi ce projet de A à Z, on s’est toujours posé la question d’un dialogue interne au film entre le réel et la fable. On veillait à maintenir un équilibre fragile entre comédie et « thriller »… Entre quotidien et féérie.

Avez-vous pensé aux films de genre ? Comme L’Etrange Créature du lac noir ou Les Dents de la mer ?

Non. Je ne me situe pas sur ce terrain-là. Du moins consciemment. Je trouvais rigolo d’évoquer un silure dans le lac, ça rejoint mes jeux avec le vrai, le faux, la légende, que j’avais déjà introduits dans mes films avec la « dourougne » (une racine imaginaire qui a les propriétés d’une drogue) et les « ounayes » (des animaux d’élevage mi agneaux mi vampires). La différence, c’est que le silure existe et que ça a vraiment une très sale gueule.

Le lac est un personnage central du film, un élément trouble, double, trompeur. Il ajoute une ligne d’horizon à la mise en scène et pose la question de la fuite, de la liberté : est-ce que les personnages peuvent s’échapper par le lac ? Ou bien est-ce qu’il choisissent d’aller vers la forêt ?

J’aime beaucoup nager mais il y a toujours un moment où je me dis que j’ai cinquante mètres de fond sous moi et je me demande si d’un coup, je peux ne plus savoir nager. Je me dis aussi qu’il y a pas mal de trucs qui s’agitent sous moi. C’est un lieu apaisant et en même temps, on peut y disparaître à jamais. Ce qu’il y a de bien avec un lac, c’est qu’on se tourne toujours vers lui. On peut passer des heures à le regarder, sans rien faire. Mes films ont beaucoup à voir avec l’horizon, je recherche des horizons lointains. Dans un lac, l’horizon est à la fois lointain et bloqué par la colline.

Le film entier est écrit par la lumière : peu à peu le crépuscule survient, c’est-à-dire l’ambiguïté du cœur humain, pas seulement l’angoisse et la peur de la mort, mais aussi l’attente excitante de la nuit.

Pour Franck, c’est surtout le moment qu’il faut savourer, parce qu’avec la nuit, l’homme qu’il aime va s’en aller. Dès l’écriture, j’ai commencé à être obsédé par des indications du type « fin d’après-midi », « début de crépuscule », « milieu de crépuscule », « fin de crépuscule », qui sont de vrais jalons et de sacrés casse-têtes en terme de plan de travail.

Le déroulement du temps en passe aussi par le son. Les sons ne sont pas les mêmes suivant les heures de la journée, le chant des oiseaux, le clapotis du lac, le vent…

La présence du monde extérieur était essentielle pour indiquer que ce lieu de drague idyllique n’était qu’un ilot au milieu d’une réalité plus vaste. Cette présence passe quasi entièrement par le son.  La prise de son direct étant extrêmement riche, nous n’avons (à une petite exception près) utilisé que des sons enregistrés sur place. Y compris ceux que l’on considère souvent comme des nuisances sonores, c’est-à-dire les voitures ou les avions. La question de la musique s’est posée au tout début, mais nous l’avons vite évacuée. Ce sont tous les sons ambiants (les avions, le vent, les insectes) qui constituent une sorte de symphonie et portent le film. Quand le jour décline, il y a des transformations fascinantes, l’heure bleue où tous les oiseaux se mettent à chanter…

Le crépuscule est l’un des personnages du film. Il y a très peu de représentations du crépuscule au cinéma, de cet état de la journée et aussi du sentiment. Dans L’Inconnu du lac, il apparaît sur la ligne des montagnes, ou sur celle du lac, et le film suit beaucoup les déplacements de la ligne d’horizon.

Les lumières naturelles au cinéma sont souvent pauvres. Pour qu’elles soient riches, il faut arriver à saisir ces moments de la journée très courts, qui laissent peu de latitude pour travailler toute une séquence. Avec Claire Mathon qui était à l’image, il nous semblait fondamental de n’avoir recours qu’à la lumière naturelle. On a tout mis en œuvre pour faire exister ces durées et ces lumières fugitives dans le film. On attendait parfois plus d’une heure, sans rien pouvoir faire, le moment propice pour tourner. Quand nous avions besoin d’ombre, il faisait plein soleil et puis c’était le contraire. Mais Claire en profitait pour saisir ces instants où le lac se transforme et qui ont beaucoup nourri le montage. Le crépuscule produit chez certains un vrai état d’inquiétude. À une époque, je suis presque devenu alcoolique par amour de l’apéro, cette grande tradition qui nous permet de combattre la terreur de la fin du jour, de l’arrivée de la nuit et du marchand de sable qui va passer, avec l’obligation de dormir.

On retrouve cette terreur du marchand de sable dans Pas de repos pour les braves.

Oui, le film a beaucoup à voir avec l’enfance et la peur de dormir. Si tu dors, tu mourras.

Comme dans Les Griffes de la nuit. Autrement dit, la peur de la nuit, qui est liée à l’extinction du crépuscule, nous révèle finalement que la nuit est en nous. Est-ce que dans L’Inconnu du lac, le criminel est celui qui fait venir la nuit qui est en nous ? Il surgit au crépuscule, entre chien et loup, dans ce moment d’ambiguïté où la vision humaine est la plus faible.

C’est le moment fragile. Même si c’est un moment d’angoisse, je l’ai toujours beaucoup aimé. Et le crépuscule est aussi le moment fragile cinématographiquement, où l’on n’a qu’un quart d’heure pour tourner la séquence. J’aime ce sentiment d’urgence, quand on s’apprête à filmer quelque chose en deux prises maximum. Pendant la préparation du tournage, on s’est beaucoup demandé s’il ne fallait pas rester toujours au crépuscule, et ne jamais faire arriver la nuit pendant le film, mais seulement à la fin, quand Frank est complètement perdu…

Frank, le personnage principal, a beaucoup à voir avec l’enfance.

Ici, je voulais moins afficher ce rapport à l’enfance et tenter de devenir sérieux, adulte. Mais visiblement, même quand j’essaie de me débarrasser de cette question pour passer à autre chose l’enfance revient toujours, peut-être parce que le monde homosexuel a à voir avec l’enfance, avec l’adolescence, avec la peur de mourir, de vieillir. Moi aussi j’ai ce rapport enfantin à la sexualité : une sexualité facile, libérée de toute pression, de la reproduction, de la conjugalité. Je suis très frivole, j’aime rencontrer des nouveaux partenaires, mais c’est un peu la tendance générale.  Dans ces lieux de drague, il y a un côté très joueur, très cour de récréation, la fidélité n’est pas de mise : on se la montre, on se la touche, on se la suce… On « bricole » comme disent certains. Et si ça ne marche pas, ce n’est pas très grave. On ne se met pas la pression. Mais ça ne se passe pas partout comme ça. Après la libération sexuelle des années 1970, on se sent aujourd’hui dans une perpétuelle assignation à baiser, dans une obligation à jouir.

Vous parlez uniquement du monde homosexuel ?

Non, du monde actuel en général, y compris chez les hétérosexuels, même si la frivolité me paraît plus forte chez les hommes. Je parle ici d’un parcours collectif : à un moment, tout le monde a désiré la libération sexuelle. Dans les années 1970, le FAHR (Front d’Action Homosexuel Révolutionnaire) avait pour slogan : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! » J’adore. Aujourd’hui, on manifeste pour le mariage pour tous. Quelque chose s’est perdue en cours de route. Les lieux de drague sauvages ferment mais ils sont remplacés par des clubs libertins à 40 euros l’entrée. Il y a une reprise en main du sexe libre par le business. Cette assignation à jouir va avec la société de consommation, qui inclut une consommation du sexe.

La droitisation de la société n’épargne pas les homosexuels. Il y a aussi un ultralibéralisme du sexe.

Si la libération sexuelle débouche sur une obligation de jouissance, elle peut vite se transformer en aliénation. Je me demande où nous conduit cette recherche du seul plaisir.  J’ai construit le personnage de Michel en pensant à ces drôles d’évolutions. Michel est un jouisseur, consommateur de sexe aux allures de surfer californien. Il est puissant, sûr de lui, sentimentalement froid, et quand il a joui de l’autre, il s’en débarrasse.

Il faut distinguer l’enfance de l’adolescence, l’hédonisme étant plus du côté de l’adolescence. L’Inconnu du lac est un film classique, au sens où il revient à la matrice du conte. Frank est l’enfant du conte, la petite fille ou le petit garçon, le petit Poucet mais aussi la femme de Barbe Bleue ; Michel est l’ogre ou le loup ; et Henri est peut-être le seul personnage adulte du film, qui connaît son désir et y consent.

Le film a à voir avec le conte dans sa simplicité. C’était présent dès l’écriture du scénario. Je ne sais pas si l’idée de Barbe Bleue est juste, mais elle me plaît beaucoup ! La clé tâchée de sang qui ne part pas.

 

Je suis parti d’un trio, trois figures d’hommes, qui pourraient représenter trois facettes d’un même homme, comme souvent chez moi : le frivole « cool » (Frank), le dragueur puissant (Michel), dès qu’il ne désire plus, il se débarrasse de sa proie… Et l’homme qui en a un peu marre de tout ça (Henri). L’autre question, c’est : jusqu’où je vais pour vivre mon désir ?

Il y aurait trois attitudes : celui qui va jusqu’à se faire tuer pour accomplir son désir ; celui qui se rend compte que le sexe hédoniste finit par le dépasser et devenir dangereux ; et l’ultra-libéral du sexe qui désire, et élimine quand il finit de désirer, à l’infini. C’est une vision critique d’une sexualité ultralibérale renvoyée à la communauté homosexuelle ?

Pas seulement homosexuelle, mais je pars évidemment de mon expérience, et je m’inclus dans la communauté humaine qui en présente les symptômes de façon très lisible.

Grâce au lac, on passe d’un point de vue à un autre. Parfois on voit le ciel du point de vue de celui qui fait l’amour, parfois on est dans l’eau du point de vue du meurtrier… Il y a une fluidité.

On a beaucoup travaillé sur la subjectivité des points de vue. La question s’est posée dès la préparation. Quels sont les points de vue interdits ? On est allé jusqu’à envisager un film tout en caméra portée, où même la caméra qui paraît fixe continue à flotter. Et au final je suis resté assez puriste. Je me suis rendu compte que je tenais beaucoup à ce que la subjectivité se confonde avec une objectivité, que le point de vue du personnage et celui du metteur en scène puissent se confondre. Dans le seul vrai gros plan du film, il y a un regard sur Henri, qui est clairement porté par Frank, et qui est aussi un plan de mon point de vue de metteur en scène.

Le sida est l’un des dangers qui traversent le film avant qu’on en arrive au meurtre, et le film pose la question de se protéger ou pas.

Et je trouve important qu’elle se pose. Je vois souvent que ça coule de source au cinéma, les mecs mettent un préservatif, comme s’il y avait un accord tacite qui régnait dans la société à ce sujet. J’avais moi aussi tendance à évacuer cette question alors que dans la réalité, elle se pose souvent. Il n’y a pas tant d’évidence. On trouve des hommes très hygiénistes, d’autres très laxistes.

Le sida a beaucoup rapproché la mort de l’amour. Il a plané et plane encore sur nos rapports amoureux. Il les a même considérablement modifiés, même s’il ne représente plus le même danger qu’avant. Quelque chose (et pas rien) s’est perdu dans la façon de faire l’amour, dans l’idée de s’abandonner totalement à l’autre. Franck se situe dans cette tradition « romantique », il va jusqu’au bout de l’expérience. Il vit son envie sur le moment, sans penser à rien d’autre qu’à prendre son pied avec l’autre. Peu importe où ça le mène. S’il prend le temps d’y réfléchir, ce n’est certainement pas dans les moments forts de sexe.

Dans ce projet, ça s’imposait, c’est tellement « l’amour à mort ».

Peut-être qu’en vous confrontant pour la première fois à votre propre sexualité, vous renvoyez chaque spectateur à l’énigme de la sienne. Comme le lac, dans le film, est le miroir du cœur humain : il peut être noir, fermé, ne renvoyer aucune lumière, ou bien…

… Refléter la couleur du ciel. C’est là où la question devient politique. Il faut travailler dans sa singularité pour parler de l’homme en général, tenter de retrouver un peu d’universalité. Il y a eu beaucoup de films hétéros qui sont devenues des métaphores homos, et bien disons que là j’avais envie de faire l’inverse, qu’un film au contenu au départ teinté par l’homosexualité devienne une métaphore de la société, du désir, de l’humain en général.

Cela passe par l’expérience de la communauté ?

S’il y a une forme de communauté gay dans le film, c’est une communauté dans laquelle on est beaucoup seul ensemble. Est-ce vraiment une communauté ? Si oui, elle peine à exister. Tout cela est présent dans le point de vue de l’inspecteur. Il trouve ce monde bizarre, cette façon de s’aimer jusqu’au soir sans avoir l’idée de s’échanger les numéros de téléphone, même pas les prénoms. Il pointe une absence de solidarité.

Mais il ne porte pas de jugement moral, il fait une remarque très humaine sur l’individualisme.

L’inspecteur n’est pas culpabilisateur mais plutôt bienveillant. Il est plus du côté de la communauté humaine que de la société. C’est peut-être dans cette idée de communauté humaine qu’on retrouve l’utopie.

Votre film, malgré sa cruauté, sa noirceur, reste dans l’horizon de l’humain.

En tout cas c’est une vraie question chez moi : comment est-ce qu’on est seuls ensemble ? La communauté des hommes dont je rêve a du mal à exister. Et au fond, suis-je si sûr de la vouloir moi-même? D’être prêt à des renoncements pour la faire advenir ? Pourtant je reste persuadé que c’est la seule solution dans ce monde où l’idéal semble être de se réfugier dans sa propriété entourée de murailles. Le plus loin possible du voisin.

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