Olivier Père

Mort d’un cycliste de Juan Antonio Bardem

Tamasa Distribution a eu la bonne idée de ressortir cette semaine dans les salles et en version restaurée Mort d’un cycliste (Muerte de un ciclista, 1955), classique du cinéma espagnol signé Juan Antonio Bardem. Nous en avons profité pour découvrir ce film important des années 50 qui montre jusqu’où pouvait aller à l’époque un cinéaste talentueux dans la critique de la société bourgeoise en provoquant la censure franquiste tout en continuant à exercer son travail avec une certaine reconnaissance internationale, malgré les tracasseries bureaucratiques dont il fut régulièrement la victime dans son propre pays. Bardem (1922-2002) n’a jamais caché son appartenance au Parti Communiste d’Espagne et il fut l’un des seuls aux côtés de son ami Luis Garcia Berlanga à faire des films ouvertement politiques sans s’exiler, devenant en quelque sorte un opposant officiel au régime du Caudillo dans le domaine des arts et de la culture. Mort d’un cycliste est une dénonciation du népotisme, de l’hypocrisie et de l’abjection ordinaire de la bourgeoisie franquiste, qui adopte la forme d’un drame mondain scandé par deux crimes, l’un accidentel et l’autre volontaire, pour dresser un portrait impitoyable de la haute société espagnole. Le seul personnage positif est un professeur rongé par la honte de devoir son poste à l’université à ses relations familiales, puis par le sentiment de culpabilité provoqué par un délit de fuite – la mort du cycliste du titre – auquel il a participé pour protéger une liaison adultérine. Sa maîtresse est une jeune femme d’une grande beauté mais sans aucun scrupule, prête à tout pour conserver ses privilèges et sa position sociale auprès d’un mari industriel aussi riche que complaisant. Elle est interprétée par Lucia Bosé, sans doute l’une des plus belles femmes jamais apparue sur un écran de cinéma, actrice mystérieuse parfaite pour incarner des personnages dont la froideur et la perfection physique dissimulent zones d’ombre, secrets enfouis et hideur morale. Cette miss Italie 1947 issue d’une famille modeste de Lombardie, fut remarquée alors qu’elle était caissière dans une pâtisserie de Milan par un certain Luchino Visconti. Celui-ci lui trouva un maintien aristocratique et lui conseilla de faire du cinéma. Sa carrière pouvait débuter et c’est dans des rôles de femmes fatales de la grande bourgeoisie, froides et calculatrices qu’elle marqua le plus les esprit : Paola dans Chronique d’un amour de Michelangelo Antonioni en 1950 (qui la dirigera à nouveau dans La Dame sans camélia trois ans plus tard) et Maria-José dans Mort d’un cycliste. Plusieurs critiques firent d’ailleurs le rapprochement entre le premier chef-d’œuvre d’Antonioni et le film de Bardem, encouragé par la présence de Lucia Bosé dans des rôles comparables. Si Mort d’un cycliste ne possède pas le raffinement et la complexité inouïe de Chronique d’un amour, Bardem met en scène son histoire cruelle avec un curieux mélange de modernité antonionienne, de formalisme glacé et d’expressionnisme wellesien, notamment dans l’utilisation de la profondeur de champ.

 

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