Olivier Père

Riccardo Freda

Artus a édité récemment en DVD deux des meilleurs films de Riccardo Freda, L’Effroyable Secret du docteur Hichcock (L’orribile segreto del dr. Hichcock, 1962) et Le Spectre du professeur Hichcock (Lo spettro, 1963).

Contemporain du néo-réalisme, Riccardo Freda (1909-1999) ignore ce mouvement esthétique dominant pour illustrer une certaine idée à la fois aristocratique et populaire du cinéma et se réfugier dans les histoires d’aventures à costumes, grand admirateur du cinéma américain et fustigateur d’un cinéma asservi à la réalité. Toute sa vie de cinéaste Freda privilégiera l’action, le mouvement, la couleur à la parole et aux acteurs, qu’il utilise avant tout pour leur photogénie ou leur plasticité : son égérie Gianna Maria Canale, Barbara Steele dans les deux films édités par Artus, Steve Reeves, Gordon Scott ou Kirk Morris dans ses épisodes de Maciste, Brett Hasley dans ses films de cape et d’épée.

Les Vampires

Gianna Maria Canale dans Les Vampires

Freda excella dans le film d’aventures historiques. Ses premiers grands films dans les années 40 et 50, Don César de Bazan, L’Aigle noir et sa suite, La Vengeance de l’Aigle noir, sont des triomphes public et de superbes réussites esthétiques et dramatiques. Jacques Lourcelles, son plus grand admirateur français, fut le critique qui le premier salua le talent « universel » de ce cinéaste qui puisa son inspiration dans les grands auteurs (Hugo, Dante, Tolstoï, Pouchkine, Shakespeare) et les grandes figures historiques et artistiques de l’Histoire (Théodora, impératrice de Byzance, Le Chevalier mystérieux avec Vittorio Gassman dans le rôle de Casanova, Le Château des amants maudits, la meilleure adaptation à l’écran du drame des Borgia, L’Aigle de Florence, biographie fantaisiste de Benvenuto Cellini. Freda réalisa quelques chefs-d’œuvre dans chacun des grands genres du cinéma européen : le film de cape et d’épée (Le Fils de D’Artagnan, Sept Epées pour le roi), le péplum (Spartacus, Le Géant de Thessalie), le mélodrame (Les Misérables, Roger la honte, Les Deux Orphelines).

Quant au cinéma fantastique on peut dire qu’il l’inventa littéralement en Europe avec Les Vampires (I vampiri, 1956), splendide film réalisé avant les grands titres de la Hammer ou Les Yeux sans visage. Malheureusement Les Vampires qui bénéficiait de la superbe photographie noir et blanc et des effets spéciaux de Mario Bava ne rencontra aucun succès.

Caltiki, le monstre immortel

Caltiki, le monstre immortel

Il n’empêche que pour tous les amateurs de cinéma fantastique et de science-fiction Freda restera le cinéaste qui le premier osa concurrencer les anglo-saxon sur le terrain de l’horreur gothique en tournant seul contre tous Les Vampires, conte macabre et ténébreux sur le thème de la beauté éternelle qui ouvrira un âge d’or du fantastique italien. Sous le pseudonyme de Robert Hampton, on lui doit également l’un des rares excellents films de science-fiction transalpins, Caltiki le montre immortel, inspiré par la série britannique des Quatermass, et dont il partage une nouvelle fois la réussite avec le chef opérateur et le spécialiste des effets spéciaux Mario Bava, qui deviendra en passant à la mise en scène en 1960 avec Le Masque du démon le seul grand rival de Freda dans le registre de l’épouvante en Italie. Riccardo Freda abandonna le film dès les premiers jours du tournage et fut remplacé par Mario Bava, responsable de la photographie et des trucages assez artisanaux. Le monstre géant et visqueux, sorte de blob du pauvre, était en effet composé de véritables entrailles animales ! Un petit classique du cinéma bis transalpin.

Toujours sous le pseudonyme de Robert Hampton, qui trompa tout le monde à l’époque, les critiques et les spectateurs croyant découvrir une nouvelle production Hammer, Riccardo Freda réalisa un dytique horrifique, L’Effroyable secret du docteur Hichcock et Le Spectre du professeur Hichcock, dont l’audace narrative (rien moins que la nécrophilie dans le premier titre) et la fulgurante beauté plastique ont gardé leur pouvoir de fascination intactes.

L’Effroyable Secret… se permet un clin d’œil hitchcockien avec le patronyme de son inquiétant personnage principal, mais le film emprunte avec beaucoup de brio plusieurs éléments narratifs et visuels empruntés au maître du suspense, en citant particulièrement Rebecca, Les Amants du Capricorne et Soupçons.

Le Spectre du professeur Hichcock

Le Spectre du professeur Hichcock

Malgré son titre français et la présence de Barbara Steele, Le Spectre… n’est pas une suite mais un film très différent de L’Effroyable Secret… Il s’agit d’une histoire de machination extrêmement violente et cruelle, sans aucun personnage positif, représentatif en cela de la misanthropie de Freda.

Même s’il était passé maître dans la gestion des petits budgets, des scénarios et des acteurs approximatifs, le cinéma de Freda excède largement les frontières, souvent floues, du cinéma bis. Le terme de cinéma populaire était pour lui un terrible pléonasme.

Ses premiers films en noir et blanc s’apparentent au mouvement calligraphiste italien et il a signé quelques péplums remarquables.

Son Spartacus (1953) fut, selon les dires de Riccardo Freda, retiré de la circulation lors de la sortie du film de Kubrick, afin de rendre toute comparaison impossible entre les deux œuvres. Cette version inspirée de la révolte du célèbre esclave appartient à la période faste du cinéaste, grand spécialiste du film d’aventures historiques, avant que ce dernier se retrouve confiné dans les productions de série B.

Le Géant à la cour de Kublaï Khan (1961) est l’avant-dernier péplum de Freda, qui signera un an plus tard le poétique Maciste en enfer. Malgré un budget réduit, il s’agit d’un des plus beaux efforts d’un cinéaste à jamais fidèle à l’aventure et à l’action, esthète de la série B qui propulse le surhomme romain en Chine. Comme le souligne Stefano Della Casa, exégète de Freda, Gordon Scott, le culturiste le plus convaincant en activité en Italie campe un excellent Maciste redresseur de torts et de nature semi divine. Freda aimait ce film : « J’ai pu exercer un contrôle total sur les décors et les costumes, et j’ai moi-même dessiné la maquette de la cité de Pechino. Le résultat est une consolation : ce n’est pas un Maciste comme les autres, même si aucun de ses Messieurs de la critique, naturellement, n’est d’accord là-dessus. »

Maciste en enfer

Maciste en enfer

Maciste en enfer (1962) est une déclinaison fantastique des exploits du surhomme italien signée par le plus dandy des cinéastes populaires. Maciste, héros de la Rome antique, est une nouvelle fois amené à voyager dans le temps grâce à l’imagination débridée des scénaristes de Cinecittà. Voir un culturiste en slip gambader dans les pâturages de l’Écosse du XVIIe siècle est toujours aussi déconcertant ! Avec sa légendaire désinvolture hautaine, Riccardo Freda malmène la plus élémentaire logique pour se concentrer sur la plasticité de sa mise en scène et la beauté des éclairages, et cite à la fois Dante et Jérôme Bosch lors de la mémorable descente aux Enfers de son héros.

Murder Obsession (1981) dernier titre de Freda avant une longue retraite forcée, est davantage un film de circonstance qu’un film personnel. Suivant la mode du thriller horrifique lancée par Dario Argento, Freda signe avec un certain cynisme un « giallo » à l’ancienne, dernier avatar d’une série de commandes alimentaires. Rarement montré, Murder Obsession est un huis clos de mort et de folie qui convoque plusieurs figures connues du cinéma bis (dont Laura Gemser, l’égérie de Joe D’Amato). Il faudrait vérifier si l’élégance hautaine et le dandysme du grand cinéaste rompu aux séries B indignes de son talent a survécu dans cette ultime pirouette sanglante qui brasse névrose sexuelle, traumatisme enfantin et pathologie criminelle, comme à la grande époque des deux « Hichcock ». Un testament artistique à découvrir.

 

 

 

 

 

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3 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    l’édition d’Artus du Spectre du Docteur Hichcock m’a déçu par rapport à d’autres films qu’ils ont ressorti – même la maquette est ratée alors qu’ils sont généralement très forts sur la présentation.
    Il m’étonnerait qu’on ait effectué un quelconque travail de nettoyage: les noirs sont charbonneux au possible et on ne sent absolument pas le soin esthétique de Freda dans le travail de la couleur et du décor. Tout est là, mais sali par une copie hideuse. C’est très dommage car le film est un conte vénéneux comme on aurait souhaité que Corman ait été capable d’en composer quand il a adapté Poe.

    Il faut absolument que je trouve le premier chapitre: l’Effroyable secret.

  2. Bertrand Marchal dit :

    vu l’Effroyable Secret du Docteur Hichcock.

    Une œuvre baroque qui a de grandes qualités et les défauts d’un film visiblement pensé aussi comme un produit qui devrait répondre à certains critères, certaines exigences, sans doute plus clairement – et cyniquement- identifiés par des producteurs que par le metteur en scène. Mais je m’avance peut-être.

    De nombreuses bonnes idées sont abîmées par d’autres qui sont hors propos (la fin est navrante), la fluidité de la mise en scène, le travail sur le rythme et les décors sont aussi affaiblis et même corrompus par des scories scénaristiques et des maladresses de montage, voire même un manque de pertinence dans la manière dont certaines scènes (rares mais signifiantes) sont cadrées qui ôte de la tension là où il aurait fallu l’augmenter.

    Le film vaut pour ses décors, ses lumières, son acteur principal, certaines scènes oniriques et le thème central, audacieux, qui s’impose avec toute la fièvre du blasphème, la moiteur malsaine de l’obsession contre-nature. C’est déjà beaucoup.

  3. Bertrand Marchal dit :

    Au sujet de l’Effroyable Secret, il faut que j’ajoute un élément important à la lecture qu’on fera de ce film: il est impossible à comprendre lors d’une première vision. Je veux dire que tout ce qui fait l’esprit du film, son tissu interne qui prétend traduire la corruption érotique du docteur ne prend toute son ampleur qu’au terme d’une seconde vision, quand l’esprit du spectateur aura relié toutes les pièces du puzzle psychologique et sera capable de comprendre (et d’apprécier) tout son poids de sous-entendus, d’hésitations, de tensions, de fébrilité. A ce tire, le film est assez ennuyeux à regarder la première fois, très lent, plein d’une atmosphère lourde qu’on n’arrive pas à déchiffrer, mais il devient plus cohérent, plus riche la seconde fois.
    Faut-il en conclure que le Secret est une œuvre complexe parce qu’elle aurait le courage de ne pas se dévoiler trop rapidement et que cela constituerait une qualité globale supérieure à la somme de ses défauts? Je ne le pense tout de même pas. Et le Spectre est pour moi meilleur, parce qu’il est plus fini, qu’il se donne à apprécier dans une clarté impeccable (clarté de scénario et non d’images, malheureusement!)

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