Olivier Père

Le Démon des femmes de Robert Aldrich

Le Démon des femmes

Le Démon des femmes

De la fin des années 60 jusqu’au magnifique et final Deux Filles au tapis en 1983, Robert Aldrich va signer des films géniaux mais problématiques qui susciteront souvent l’incompréhension ou l’indifférence au moment de leur sortie. Après son plus gros succès commercial Les Douze Salopards Aldrich met son indépendance artistique au service de projets audacieux, voire scabreux, avec des titres dont le nihilisme et le désenchantement vont faire fuir le public et la critique. Aldrich, entre maniérisme et modernité, fut le pionnier d’un nouveau type de cinéma américain réflexif et excessif.

Le Démon des femmes

Le Démon des femmes

Le Démon des femmes (The Legend of Lylah Clare, 1968), méconnu et souvent passé sous silence dans la filmographie de Robert Aldrich en raison de son échec commercial, n’est pourtant pas un titre à négliger dans son œuvre. Dans la lignée de Boulevard du crépuscule ou La Comtesse aux pieds nus il s’agit d’une fiction sur les coulisses guère reluisantes de l’usine à rêves, dont Aldrich avait déjà exploré la face sombre dans Le Grand Couteau en 1955. Mais la comparaison s’arrête là. Si Aldrich première période (les années 50) impressionna Chabrol et Truffaut quand ils étaient critiques, Aldrich dernière période trouvera en Fassbinder, Verhoeven et De Palma ses héritiers les plus directs. Le Démon des femmes est une fiction sur Hollywood et sa capacité à se nourrir de ses propres mythologies : le producteur avide, le démiurge sadique, la jeune actrice vampirisée… À cause de sa ressemblance avec la star Lylah Clare, morte dans des circonstances étranges, Elsa Brinkman (Kim Novak), une aspirante comédienne, obtient le rôle de l’actrice dans une biographie filmée dont le metteur en scène n’est autre que le Pygmalion et amant de Lylah (Peter Finch). Il va se comporter avec Elsa de la même façon qu’avec la star défunte, tandis que la jeune femme se trouve littéralement possédée par l’esprit de celle qu’elle incarne devant et derrière la caméra.

Le Démon des femmes

Le Démon des femmes

On aura reconnu dans cette trame vertigineuse un remake de Sueurs froides dans les coulisses du cinéma. Si le film d’Hitchcock parlait déjà de mise en scène et d’amour morbide, celui d’Aldrich y ajoute une trivialité et une perversité beaucoup plus explicites. Une certaine laideur expressive des décors et des costumes vient désacraliser le « glamour » hollywoodien et montre le déclin de l’usine à rêve, à la solde des annonceurs publicitaires (le final sarcastique où la tragique conclusion du récit est parasitée par une pub pour la nourriture pour chien). Aldrich se paye le luxe de réemployer Kim Novak dix ans après son double rôle chez Hitchcock, et lui fait subir d’autres chutes mortelles, non plus d’un clocher mais d’un escalier puis d’un trapèze sur le tournage. Le cinéaste provoque en effet la mort de son actrice et maîtresse, pour capter son agonie devant sa caméra et conserver la scène dans le montage final. À ce degré de démence (un film snuff au milieu d’une production hollywoodienne, et un triomphe à la clé), Le Démon des femmes est l’œuvre la plus dérangeante d’Aldrich, et se hisse au rang des quelques films monstres de l’histoire du cinéma. Le résultat est plus effrayant que les ragots de Kenneth Anger dans Hollywood Babylone, plus tordu que les variations hitchcockiennes de De Palma (Body Double), plus décadent que les rêveries cinéphiles et fétichistes de Fassbinder.

Affiche américaine du Démon des femmes

Affiche américaine du Démon des femmes

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