Olivier Père

Mollenard de Robert Siodmak

Mollenard (ou Mollenard, capitaine corsaire, 1938) est un film génial découvert il y a quelques semaines grâce à la collection « Gaumont à la demande », une mine d’or pour les amoureux du patrimoine cinématographique français.

Mollenard est un capitaine de cargo, un aventurier, misanthrope, contrebandier, bourlingueur, chef charismatique adoré par ses hommes, hédoniste couvert de femmes, qui a fui la France pour échapper à la haine qu’il voue à son épouse, une bourgeoise austère, conformiste et bigote qui  habite le port de Dunkerque où elle est espère ne jamais le voir réapparaître.

Devenu trafiquant d’armes en Extrême-Orient, travaillant davantage pour son compte que pour la compagnie marchande qui l’emploie, Mollenard est sommé de rentrer en France et doit rendre des comptes à ses patrons, consternés par ses activités illégales et son comportement scandaleux. Mollenard est une force de la nature et pourtant ce retour au bercail lui sera fatal. Victime d’une attaque qui le paralyse et le tient à la merci de son effroyable épouse, il affronte la cruelle situation qu’il avait toujours redouté, la seule chose dont il eut jamais peur : mourir sous le même toit que sa femme…

Splendide film d’aventures exotiques qui baigne dans une atmosphère interlope, dangereuse et décadente (les séquences se déroulant à Shanghai comptent parmi ce qu’on a fait de mieux dans le genre), Mollenard est aussi un drame atroce de la conjugalité qui met en scène un couple monstrueux séparé par les mers mais uni par la haine. Le film frappe par les sentiments toujours plus grands que nature – jusque et surtout dans la bassesse – qui animent les personnages, comme si tout le film était contaminé par la nature volcanique de son héros, totalement cynique et amoral et en même temps profondément humain, et finalement admirable.

Avec Charles Spaak au scénario, Schüfftan et Alekan à la lumière, Trauner aux décors, Millhaud à la musique, Mollenard bénéficie des meilleurs techniciens et artisans du cinéma français de l’époque. Le film est évidemment transcendé par l’interprétation d’Harry Baur, prodigieux acteur qui apporte à Mollenard une force tragique, une dimension pathétique extraordinaire. La noirceur, le nihilisme de l’ensemble évoquent le cinéma de Duvivier, mais Siodmak est sans doute plus généreux, lyrique même, et n’hésite pas à mener son film sur les rives du mélodrame. Difficile de ne pas être ému aux larmes par le destin d’un homme qui symbolise l’aventure, le refus des lois, en somme la liberté. La mise en scène de Siodmak rivalise avec celle des grands cinéastes américains des années 30. Rien de surprenant que ce cinéaste très talentueux se soit aussi bien intégré au système des studios et qu’il ait signé à Hollywood quelques classiques du film noir.

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