Olivier Père

Pour toi, j’ai tué de Robert Siodmak

Pour toi, j'ai tué

Pour toi, j’ai tué

Souvent présenté comme l’archétype du film noir, signé Robert Siodmak, cinéaste allemand à la carrière internationale, auteur à Hollywood des célèbres Tueurs, d’après Hemingway, mais aussi de plusieurs perles de la série B, Pour toi, j’ai tué (Criss Cross, 1948) ne respecte pourtant que superficiellement les canons du cinéma policier. Siodmak se sert d’une presque banale histoire de violence et de trahison pour étudier le drame d’un couple maudit marqué par le destin, et dresser les portraits sans cliché d’un homme faible et d’une femme « insondable », pour reprendre l’expression exacte d’Hervé Dumont, le meilleur exégète de l’œuvre du cinéaste (lire son indispensable bouquin, aux éditions Ramsay Poche Cinéma). Si Lancaster excelle dans le rôle d’un type ordinaire encore sous l’emprise amoureuse et charnelle de son ex-femme, Yvonne de Carlo incarne à la perfection ce personnage féminin unique dans les annales du film noir, peuplé de garce et de femmes fatales aux motivations évidentes, l’appât du gain et l’abus de leurs charmes. Même si elle est désignée comme une créature vénale et une arriviste (surtout par la mère du héros et son ami policier, deux témoins à charge immédiatement suspects à nos yeux) qui manipule le pauvre Lancaster esclave de ses sentiments, le film refuse délibérément de la juger. Siodmak réussit l’osmose parfaite entre un genre imposé et ses aspirations personnelles, ne se contente pas de semer des fausses pistes ou de multiplier les rebondissements mélodramatiques et policiers. Il malmène la misogynie foncière du film noir et parvient à rendre indécidable le portrait psychologique de son héroïne. Jusqu’à l’image finale, dénouement tragique et abrupt, le spectateur est en droit de douter de la malignité de cette femme certes serpentine, mais amoureuse, sans doute. Hormis cette ambiguïté passionnante, Pour toi, j’ai tué s’impose aussi par sa structure narrative et sa mise en scène aux confins de l’onirisme comme un grand film, dont la construction en flash-back a ensuite influencé de nombreux auteurs de polars. Un chef-d’œuvre sur l’amour fou, l’amour flou.

Nous reviendrons plus longuement et dès que possible sur la filmographie certes inégale mais passionnante de Robert Siodmak qui a réalisé plusieurs films admirables en France, en Allemagne et à Hollywood : Mollenard (1938), Son of Dracula (1943), Les mains qui tuent (Phantom Lady, 1944), Deux mains, la nuit (The Spiral Staircase, 1945), Les SS frappent la nuit (Nachts, wenn der Teufel kam, 1957), etc.

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