Olivier Père

La Dame aux camélias de Mauro Bolognini

La Dame aux camélias (1981)

La Dame aux camélias (1981)

On voit des extraits de La Dame aux camélias (La storia vera della signora dalle camelie, 1981) de Mauro Bolognini dans deux films, et ce sont deux hommages au génie d’Isabelle Huppert. Dans Les Voleurs de la nuit, tourné en France par Samuel Fuller, le réalisateur américain lui-même regarde le film à la télévision et déclare : « Cette actrice était née pour jouer la dame aux camélias ». Dans un autre film très récent, l’encore inédit et remarquable Bella endormentata de Marco Bellocchio présenté au Festival de Venise cette année, c’est Isabelle Huppert elle-même qui regarde le film à la télévision. Elle interprète une grande actrice très catholique qui vit recluse dans sa maison auprès de sa fille sombrée dans un profond coma, et qui a abandonnée sa carrière pour s’occuper d’elle. Preuves de l’impact qu’ont pu avoir et qu’ont toujours le film de Bolognini et surtout l’interprétation d’Isabelle Huppert, alors à l’orée d’une carrière déjà riche de plusieurs chefs-d’œuvre et grands rôles (La Dentellière, Violette Nozière, Loulou, La Porte du paradis). Fuller a choisi la scène de la mort d’Huppert, qui crache le sang. Bellocchio la montre aux abattoirs boire du sang de vache, pour soigner sa tuberculose. Deux scènes « sanglantes », cruelles, à la fois sublimes et sordides à l’image d’un film qui enregistre le pourrissement d’un corps mais aussi d’un monde malade. Il s’agit d’une production de prestige de la Gaumont Italie qu’on imagine initiée par son patron de l’époque, Daniel Toscan du Plantier, et un véritable écrin pour la jeune actrice. Le choix de Bolognini pour mettre en scène cette nouvelle adaptation du roman de Dumas fils ne surprend guère. C’est le testament artistique d’un spécialiste des adaptations littéraires, mais aussi des reconstructions historiques et du XIXème siècle au cinéma. Le thème de la prostitution traverse son œuvre (on se souvient de La viaccia, Metello, Bubù) mais aussi, plus généralement, de la dimension sociale de la sexualité et de ses pathologies (impuissance dans Le Bel Antonio, inceste dans La Grande Bourgeoise). Bolognini est un esthète fasciné par la décadence et les personnages prolétaires – et parfois bourgeois – brisés par la société. Associé au directeur de la photographie Ennio Guarnieri pour sa période maniériste en couleur, il a magnifié plusieurs actrices internationales mais aucune n’atteint la beauté, la photogénie et l’incroyable expressivité d’Isabelle Huppert dans le rôle d’Alphonsine Plessis, pauvre petite prostituée de province qui deviendra vite l’une des courtisanes les plus prisées de Paris, multipliant les riches amants et vivant une passion amoureuse avec Alexandre Dumas fils, qui s’inspirera de sa vie et sa mort précoce pour le personnage de Marguerite Gauthier dans La Dame au camélias. Le film débute et s’achève par des répétitions et la première représentation de la pièce tirée du roman. La mise en abyme que l’on retrouve dans le film de Bellocchio est donc déjà au cœur du dispositif de mise en scène de Bolognini. Une fois n’est pas coutume, la version longue destinée à la télévision, en deux parties, est supérieure à la version cinéma. Son ampleur romanesque permet à Alphonsine d’exister dans toute sa complexité et son opacité. Huppert est fascinante comme souvent, mais elle est belle et sensuelle comme jamais.

Nous n’avions pas vu La Dame aux camélias et comme nous aimons Bolognini et adorons Isabelle Huppert, la formidable collection de DVD « Gaumont à la demande » qui propose la version télévision en deux parties nous a permis une belle séance de rattrapage.

Catégories : Actualités

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Je viens de voir mon premier film de Bolognini: Vertiges. L’histoire d’une petite communauté de femmes qui vivent autour du médecin-chef d’un asile psychiatrique qui recherche désespérément la preuve que la folie serait une maladie liée à un pathogène identifiable.

    Bolognini a un talent de directeur d’actrices formidable et le portrait qu’il fait d’une humanité sur le fil rouge de la folie est très fin: les filtres se dissolvent, les masques tombent et le désir laisse libre cours à ses fantasmes. Les fous ne sont plus hypocrites, les sains d’esprit se laissent contaminer par l’esprit de chaos pulsionnel qui au fond fait la vraie nature de l’homme. Même la belle et austère Françoise Fabian esquisse tout à la fin un geste qui semble indiquer qu’elle est prête à abdiquer une part de son intégrité. Un film tout à fait insolite traversé par un érotisme sombre!

    Vous dites dans l’article que vous aimez Bolognini… Il a fait de nombreux films. Vous m’avez déjà recommandé la Viaccia, que je dois voir cette semaine. En recommandez-vous d’autres qui seraient à voir en priorité? Merci!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *