Olivier Père

Mission to Mars de Brian De Palma

Brian De Palma est bien connu pour écumer les projections de presse lorsqu’il se trouve à Paris (comme c’est le cas actuellement où il prépare son retour au cinéma avec Passion, un remake de Crime d’amour d’Alain Corneau) et fréquenter assidument le Festival de Toronto où il va tout voir, en spectateur presque lambda. C’est là, dans la file d’attente de The Artist que j’ai aperçu mon réalisateur préféré, l’accréditation en bandoulière. Je l’ai revu quelques jours plus tard à la projection de Intruders, navet espagnol où se compromettent Daniel Brühl et Clive Owen. J’ai bredouillé quelques mots d’admiration, il a marmonné quelque chose en allant s’asseoir dans la salle.
De retour à Paris, je regarde pour la énième fois Mission to Mars en DVD, avec mon fils qui l’a déjà vu trois fois. Il aime le film, il a raison. Pourtant, ce beau film revient de loin. Il n’y avait personne, à sa sortie en 2000, pour le défendre, sauf « Les Cahiers du cinéma ». J’ai commis une critique négative du film dans « Les Inrockuptibles », alors que je vénérais De Palma et que le film m’avait touché, mais ses défauts me paraissaient rédhibitoires.
Brian De Palma nous a habitué à une carrière en dents de scie, capable d’alterner les réussites un peu trop tapageuses (Les Incorruptibles, L’Impasse, Mission : impossible) et les films malades, aux audaces mal dosées, qui suscitèrent à leur sorties le sarcasme presque unanime de la critique pour ensuite être réhabilités par les clients de vidéo club et les universitaires (Furie, Scarface, Body Double, L’Esprit de Caïn). C’est cette préférence pour la seconde catégorie qui me pousse à aimer finalement Mission to Mars, un space opera sur une équipe de la Nasa envoyée en mission de sauvetage sur Mars où il se passe de drôles de choses. Mission to Mars est une production Disney commencée par Gore Verbinski, sur laquelle De Palma est arrivé au dernier moment. On a beaucoup glosé sur ce parachutage en catastrophe et l’impuissance de De Palma à sauver un projet foiré d’avance par un scénario ridicule et une préparation désastreuse. Il faut pourtant être aveugle pour ne pas voir à quel point De Palma s’approprie le film par sa mise en scène et ses obsessions. Dès le premier plan, le simulacre de mise à feu d’une fusée renvoie aux séquences d’ouverture de Blow Out, Body Double ou Mission : impossible, mises en abîme de la mort et du meurtre comme spectacle cinématographique.
Si De Palma a exhibé pendant les années 60 sa fascination pour le cinéma de Godard et dans les années 70 pour celui d’Hitchcock, une influence kubrickienne est apparue à partir de Mission : impossible et jusqu’à Redacted. Un film de De Palma presque entièrement filmé en apesanteur fait évidemment penser à un agrandissement géant (« Blow up ») de la belle scène de Mission : impossible où Tom Cruise est suspendu dans une pièce entièrement blanche et silencieuse, et qui était déjà un hommage à 2001 : l’odyssée de l’espace.
De Palma, conscient des limites du matériau qui lui est confié, se rattrape sur ce qu’il sait faire à la perfection : une poignée de morceaux de bravoure à la réussite croissante, jamais inféodés au règne des effets spéciaux, qui pourraient trouver leurs place dans une compilation des morceaux choisis dans la filmographie du cinéaste : une impressionnante tempête de sable au début du film, une séance de danse en apesanteur, et deux très belles scènes de pur cinéma, qui offrent un effet de sidération de plus en plus rare dans la production américaine récente : une fuite dans le vaisseau provoquée par une pluie de micrométéorités au cours de laquelle De Palma, aidé par son complice Ennio Morricone, en grande forme (c’est sa dernière très belle musique de film à ce jour), crée un suspense vertigineux digne de ses meilleurs jours, et surtout la plus grande scène du film, la mort d’un des naufragés de l’espace qui se sacrifie pour sauver les membres de l’équipage, parmi lesquels se trouve sa femme. Visuellement splendide, cette scène parviendrait presque à nous arracher les larmes et se rattache aux obsessions sadiques du cinéaste. La femme qui dit à son mari « je ne veux pas te voir mourir » et tente de le sauver, puis qui pousse un cri déchirant, perdue dans l’espace, en assistant impuissante à son suicide « en direct », nous renvoie au lyrisme morbide des scènes finales de Phantom of the Paradise ou Blow Out qui voyaient elles aussi la mort triompher de l’amour et des couples (certes moins officiels) séparés à jamais.
Le gros problème du film, c’est que cette scène, qui aurait du être la dernière dans un film « classique » de De Palma, se situe environ aux deux tiers du métrage, et le troisième tiers, qui se déroule sur Mars et révèle, rien de moins, les origines de la vie sur Terre, fit beaucoup ricaner. En effet, on se retrouve sans aucune ironie ou second degré dans un scénario de science-fiction des années 50, loin des relectures technologiques de James Cameron. De Palma dit s’être inspiré de Destination Lune d’Irving Pichel, ennuyeux film de SF des fifties pour le réalisme des effets spéciaux et les postulats scientifiques crédibles. Soit. Mais Mission to Mars commet l’imprudence de ressembler aussi à Robinson Crusoe sur Mars ou Les Survivants de l’infini, petits classiques de la S.F. de années 50 qui ont leur charme mais dont la candeur, le mélange de naïveté et de sérieux papal, affrontent le ridicule aujourd’hui. Le problème de Mission sur Mars, c’est que l’ombre de 2001 plane très souvent sur ses décors, son scénario, ses rebondissements alors que le projet se révèle au final en complète contradiction avec le film de Kubrick, puisque De Palma décide de remettre les acteurs au centre du film au détriment de la machine et décider à la fin d’enlever au film tout son mystère en montrant (un peu maladroitement) et en expliquant tout. Voilà qui vient rompre avec le cynisme du cinéma américain contemporain, mais qui ressemble mal au méfiant De Palma – passé maître dans le complot et la démonstration que le cinéma = mensonge et qui filme ici pour argent comptant les rêves de gosses d’astronautes élevés avec Flash Gordon. Après tout, pourquoi pas ? Finalement, De Palma rejoint Kubrick également dans la façon dont ses films sont reçus au moment de leurs sorties. Régulièrement jugés déceptifs, moins bons que les précédents, comme si on voulait faire payer aux cinéastes la faute d’avoir commis des chefs-d’œuvre indépassable à un moment de sa carrière, condamnés à se répéter en moins bien. Avec le recul, on constate que c’est souvent la critique qui a un ou deux films de retard sur le cinéaste (la même chose est en train de se produire aujourd’hui avec Woody Allen). Quand on revoit Mission : impossible et Mission to Mars, non seulement les films sont très proches, mais il n’est pas certain que le premier soit plus réussi que le second. Mission to Mars est plus optimiste, plus maladroit, mais sans doute plus sincère et généreux.
Seule véritable ombre au tableau : une distribution inégale, dont on ne sait si elle fut voulue par le cinéaste ou imposée par la production. Connie Nielsen est très bien, mais De Palma a beau essayer de transformer un des pilotes en veuf vaguement névrosé, vaguement voyeur, le rôle est sabordé par la piteuse interprétation de Gary Sinise qui nous inflige le même rictus énervant pendant deux heures. Sinise était déjà dans le film précédent de De Palma, Snake Eyes, autre titre problématique qui est loin de compter parmi mes préférés mais que je n’ai jamais revu depuis sa sortie, contrairement à Mission to Mars.

Mission to Mars (2000)

Mission to Mars (2000)

Catégories : Uncategorized

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *