Olivier Père

Hommage à Hitoshi Matsumoto au 64ème Festival del film Locarno

Le 64ème Festival del film Locarno présentera sur la Piazza Grande, en première internationale, le film Saya-zamurai (Scabbard Samurai), nouveau long métrage du réalisateur japonais Hitoshi Matsumoto.
Le film, interprété par Takaaki Nomi et par Jun Kunimura (qui jouait également dans Kill Bill vol. 1 de Quentin Tarantino), est produit par Yoshimoto Kogyo, Kyoraku Sangyo et Phantom Film ; il sortira dans les salles au Japon le 11 juin.
À l’occasion de cette projection, le Festival del film Locarno rendra hommage à Hitoshi Matsumoto, en présentant les deux autres longs métrages du réalisateur : Dai-Nipponjin (Big Man Japan, 2007) et Shinboru (Symbol, 2009).
Issu de la télévision, où ses spectacles et sa personnalité sont immensément populaires, Matsumoto en à peine trois longs métrages a inventé et expérimenté au cinéma de nouvelles formes de fictions comiques, extrêmement originales, entre burlesque, surréalisme et genres populaires, capables de surprendre et de séduire les publics les plus blasés. C’est un des principales révélations du cinéma contemporain de ces dernières années, et nous sommes heureux de célébrer à Locarno le travail d’un créateur exceptionnel, à l’humour et à l’imagination hors du commun.
Hitoshi Matsumoto est né le 8 septembre 1963 à Amagasaki, sur la baie d’Osaka. Humoriste aux multiples talents (acteur, chanteur, réalisateur, écrivain et animateur de spectacles télévises), il accède à la gloire sous le pseudonyme de Matchan (まっちゃん) et souvent aux côtés de Masatoshi Hamada avec lequel il crée le duo comique « Downtown », un peu à la manière de son prédécesseur Takeshi Kitano, qui lui aussi commença sa carrière comme amuseur à la télévision sous le nom de “Beat” Takeshi. Mais la comparaison s’arrête là. Kitano s’est épanoui dans le film de yakuza violent et l’envolée poétique, sans renier les gags agressifs de ses débuts. Matsumoto pratique un humour absurde et distancié, parfois enfantin. Le masque impassible et fatigué qu’arbore son visage en fait un héritier nippon de Buster Keaton. Mais ses délires visuels et narratifs le placent davantage dans la lignée des surréalistes (Salvador Dalì en particulier) voire des artistes du pop art (Andy Warhol) ou de la bande dessinée, bousculant sans cesse les limites, les règles et les frontières du cinéma, au sein de l’industrie commerciale du divertissement.
Hitoshi Matsumoto a fait ses débuts dans la réalisation en 2007 avec Dai-Nipponjin, un film que j’avais présenté en première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs, lorsque j’en étais le délégué général.
Dai-Nipponjin
, salué par la critique et figurant parmi les plus gros succès du box office japonais, avait aussi dérouté une large part des spectateurs occidentaux qui découvraient pour la première fois l’univers insolite de Matsumoto.
Ce film à nul autre pareil, entouré du plus grand secret au moment de son tournage et avant sa sortie au Japon, propose un concept inédit de comédie. C’est le propre du cinéma de Matsumoto d’inventer à chaque film une forme cinématographique nouvelle et de l’expérimenter. Dai-Nipponjin commence comme un documentaire, dans le style cinéma vérité, qui suit la morne existence d’un pauvre hère en voie de clochardisation. L’homme répond timidement aux questions du caméraman sur sa vie, son divorce et ses problèmes de voisinage lorsque son téléphone portable sonne. L’homme déclare qu’il doit immédiatement se rendre à son travail et invite l’équipe de reportage à le suivre. Nous atterrissons dans un hangar où l’homme, attendu par une équipe de scientifiques et de militaires, se transforme sous l’effet d’une puissante décharge électrique en super héros géant (le « Dai-Nipponjin » du titre, littéralement « Le Grand Japonais »), surhomme national chargé de défendre le pays des attaques répétées de monstres extraterrestres, tous plus grotesques les uns que les autres. Ses échecs et gaffes à répétition vont remettre en question son statut de sauveur et en faire au contraire un super héros impopulaire, sorte de honte nationale, et l’enfoncer dans sa dépression chronique. Le film devient alors une parodie désopilante des « Kaiju Eiga », les films de grands monstres popularisés par la série des « Godzilla » et autres « Rodan » ou « Gamera » des années 50 à nos jours, et reposant sur le cauchemar nucléaire d’Hiroshima et ses multiples traumatismes écologiques et psychologiques. Dai Nipponjin, découpé en plusieurs chapitres, alterne ensuite les mésaventures du Grand Japonais dans sa vie quotidienne et ses duels avec des créatures destructrices aux formes absurdes, qui troublent l’ordre et semant la panique par leurs comportements violents ou libidineux. Le film devient aussi une satire de la célébrité médiatique et du nationalisme japonais, lorsqu’un des monstres débarque tout droit de la Corée du Nord avec des intentions belliqueuses. Inventer la vie privée misérable d’un super héros, et le présenter comme un caractère asocial, voilà une idée qui sera reprise quelques années plus tard dans le film hollywoodien Hancock de Peter Berg avec Will Smith, sans que l’emprunt à Dai-Nipponjin ne soit revendiqué. De manière plus officielle, un projet de « remake » américain est en cours, puisque Columbia Pictures vient d’acheter les droits du film avec Neil H. Moritz (la série télévisée « Prison Break ») attaché à la production, et Phil Hay et Matt Manfredi (Le Choc des Titans 3D) au scénario. Esthétiquement, Dai-Nipponjin devient un chef-d’œuvre, et même un manifeste d’un nouveau cinéma hétérogène, symptomatique des tendances modernes du cinéma, capable d’accueillir dans la même histoire différentes formes et  plusieurs genres cinématographique, dans un mariage détonnant de documentaire et de science-fiction, de comique et de pathétique, d’effets spéciaux numériques et de captation pure du réel.
En 2009, Matsumoto a signé son deuxième long métrage, Shinboru (Symbol), qui a été présenté dans de nombreux festivals internationaux, dont Toronto, Pusan et Rotterdam. Plus fou et surprenant que Dai Nipponjin (comment est-ce possible ?), Shinboru invente une forme de film concept encore plus radicale, qui emprunte une nouvelle fois aux jeux vidéo et à l’art surréaliste (narration par niveaux successifs, imaginaire poétique foisonnant). Cette fois-ci Matsumoto est la victime d’un dispositif piège, personnage anonyme en pyjama prisonnier d’une chambre blanche aux murs tapissés d’interrupteurs en forme de petits sexes masculins (!) Chaque pression sur un « interrupteur » va déclencher un gag, une apparition, un danger, une histoire devant un Matsumoto spectateur acteur de son propre film, passant d’une chambre à une autre dans l’espoir de trouver la porte de sortie. Totalement imprévisible, le film se conclut sur une fin métaphysique, avec un écho à l’apocalypse, obsession du cinéaste qui dans Symbol s’est fait la tête du chef d’une secte religieuse japonaise ayant défrayé la chronique à cause d’attentats criminels. Tandis que Dai-Nipponjin faisait l’apologie d’un cinéma impur, perméable à toutes les intrusions esthétiques et narratives, Shinboru est un exemple rare de cinéma pur et de comédie expérimentale, un bloc conceptuel à la fois proche des audaces du cinéma burlesque muet et des installations intellectuelles de l’art contemporain.
Le troisième film de Hitoshi Matsumoto s’intitule Saya-zamurai. Pour la première fois, Matsumoto s’attaque à un des genres les plus populaires et codifiés du cinéma japonais, le film de samouraïs, régulièrement soumis à de nouvelles variations postmodernes ou néoclassiques (chez Kitano ou récemment Takashi Miike par exemple.) Matsumoto reste fidèle à son humour absurde et à son goût de la construction en sketches, mais il décide d’adopter le registre du film pour enfants, avec une belle relation entre un père et sa fille, et même du mélodrame, avec une fin très émouvante. Après la dérision et la sidération, place à l’émotion. On pense cette fois-ci à Jerry Lewis, le clown qui voulait faire pleurer. C’est aussi la première fois que Matsumoto ne joue pas dans un de ses films, préférant confier le rôle principal du samouraï sans sabre à un acteur non professionnel. Mais je ne vous en dis pas plus, afin de préserver la surprise de ce beau film que les spectateurs occidentaux découvriront en première internationale sur la Piazza Grande, lors du prochain festival del film Locarno, entre le 3 et le 13 août 2011.

Hitoshi Matsumoto sur le tournage de son nouveau film Scabbard Samurai

 

 

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