Olivier Père

Le cinéma de Edward Yang

 

A Brighter Summer Day

A Brighter Summer Day

Un livre et une rétrospective saluent le cinéma d’Edward Yard (1947-2007), grand cinéaste taiwanais, auteur de seulement sept longs métrages. Samedi 11 décembre à la Cinémathèque française, on pouvait voir ou revoir (dans une version restaurée et un montage rarement projeté) Taipei Story, une des œuvres maîtresses du cinéaste réalisée en 1985. La programmation se poursuivra jusqu’au 20 décembre. Jean-Michel Frodon vient de publier « Le cinéma d’Edward Yang » aux Éditions de l’éclat, premier ouvrage en langue française consacré à l’auteur de Yi-Yi. La projection était suivie d’une table ronde animée par Bernard Benoliel avec Jean-Michel Frodon, Pierre Rissient, Isabelle Wu docteur en cinéma et audiovisuel à l’Université Paris I et directrice du département cinéma à l’Université nationale des Arts de Taiwan, et Kaili Peng qui fut l’épouse et la plus proche collaboratrice du cinéaste dans la dernière partie de sa vie. Claire Denis était dans la salle, au premier rang. J’ai assisté à la séance en compagnie de Scott Foundas du Lincoln Center et de la revue « Film Comment », de passage à Paris. La projection fut perturbée par des problèmes de sous-titrages, mais la table ronde se révéla passionnante.

Principal artisan du renouveau du cinéma taiwanais dans les années 80, né en Chine continentale mais grandi à Taipei avant une parenthèse professionnelle de dix ans aux Etats-Unis, Yang est un héritier de la modernité cinématographique européenne (essentiellement les films d’Antonioni) et un observateur subtil et critique des métamorphoses historiques et économiques de la société taiwanaise. Ses films sont capables de décrire avec clarté des situations et des sentiments complexes, avec un art de la composition narrative qui n’appartient qu’à lui. Yang est un artiste dont la formation d’ingénieur informaticien explique le goût pour les récits non linéaires et les réseaux fictionnels. Il a un talent très personnel pour tisser les intrigues entre elles (qui aboutira à la virtuosité sereine de la structure polyphonique de Yi-Yi) et un style qui doit beaucoup à la musique. Contrairement à certaine tendance du cinéma asiatique, contemplatif et mutique, les films de Yang sollicitent le spectateur, avec un flux d’informations qui passent autant par les dialogues que la mise en scène (Yang est davantage un cinéaste du cadre que du plan.) Le cinéma de Yang propose la radioscopie d’un pays en pleine modernisation au début des années 80, et les chamboulements que cela provoque dans la sphère privée, les mœurs et le travail de ses habitants. Taipei Story raconte la relation tumultueuse entre une secrétaire préoccupée par sa carrière, Ah-chin et Lung, un ancien champion de base-ball sans ambition professionnelle et qui ne peut se résoudre à oublier son ancien amour de jeunesse. Les personnages féminins sont de toute évidence du côté de la modernité, en phase avec une ville en pleine mutation économique et politique, tandis que le personnage masculin principal, tourné vers le passé et la tradition, s’achemine vers la disparition et la mort. Aucun jugement moral chez Yang, mais un sens aigu de l’observation et de l’analyse. Lung est interprété par un acteur qui n’en est pas vraiment un, Hou Hsiao-hsien, l’autre grand nom de la nouvelle vague taiwanaise qui était également producteur de Taipei Story. Les deux cinéastes ne connaîtront pas le même destin. Tandis que Hou Hsiao-hsien voyait sa réputation internationale grandir de film en film (il est vrai qu’il signa une série impressionnante de chefs-d’œuvre du cinéma contemporain, d’Un été chez grand-père à Three Times), Edward Yang allait rencontrer de nombreuses difficultés après le grave échec public de Taipei Story à montrer financièrement ses films, en butte à l’hostilité du monde du cinéma taiwanais et au manque de soutien des grands festivals internationaux. Au milieu d’oublis ou de désaveux injustes, on notera que The Terrorizers, réalisé en 1986 après Taipei Story, avait obtenu le Léopard d’argent au Festival del film Locarno, grâce à l’enthousiasme de Benoit Jacquot qui était dans le jury cette année-là. L’autre très grand film d’Edward Yang est A Brighter Summer Day (1991), son seul filmé au passé, et le plus long (quatre heures dans sa version intégrale rarement diffusée), évocation stylisée du meurtre commis par un lycéen au début des années 60, sur fond de dictature et de culture adolescente.

Mal (voire pas du tout) distribuée, son œuvre mérite d’être redécouverte, car elle est une des plus importantes (et ambitieuses) du cinéma asiatique moderne. Le film le plus célèbre d’Edward Yang sera malheureusement le dernier. Yi-Yi obtiendra en 2000 le prix de la mise en scène au Festival de Cannes, et un joli succès un peu partout dans le monde, sauf à Taiwan où il demeure scandaleusement inédit (le film n’a pu être produit que grâce à des investisseurs japonais.) Ce sera trop tard. Yang se sait condamné par un cancer. Il développera plusieurs projets, dont un film d’animation avec Jackie Chan, mais décède le 29 juin 2007 à Beverly Hills sans avoir pu réaliser d’autres films.

PS : A noter aussi que le très prolixe Jean-Michel Frodon vient de publier une remarquable mise à jour de son « Age moderne du cinéma français » paru en 1995 chez Flammarion et épuisé, « Le Cinéma français, de la Nouvelle Vague à nos jours » aux éditions des Cahiers du cinéma. Une petite brique rouge de plus de mille pages indispensable pour tous ceux qui s’intéressent au sujet. J’en suis à la page 478 et c’est captivant.

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