Olivier Père

Temps sans pitié de Joseph Losey

Doriane Films a édité Temps sans pitié (Time Without Pity, 1957) en DVD dans sa collection « typiquement british). Titre important et même essentiel dans la filmographie de Joseph Losey, pour diverses raisons. D’abord c’est le premier film que Losey signe de son nom lors de son exil européen, après avoir réalisé sous pseudonyme un film en Italie et deux en Grande-Bretagne. Rappelons que Losey, engagé aux côtés du Parti Communiste Américain et sommé en 1952 de se présenter devant la Commission de la Chambre des activités anti-américaines avait préféré s’installer en Angleterre. Ayant trouvé ses marques au sein de l’industrie cinématographie britannique après quelques déconvenues – son renvoi du tournage d’une production Hammer en raison de ses sympathies communistes Losey peut enfin mettre en scène un film (à petit budget) comme il l’entend. Le scénario de Temps sans pitié est de Ben Barzman, lui aussi « blacklisté » et installé en Europe durant le maccarthysme. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble sur Le Garçon aux cheveux verts (premier et admirable film de Losey en 1948) et Imbarco a mezzanotte, pierre initiale de l’édifice européen dans la carrière de Losey, rarement montré.

Leo McKern et Michael Redgrave dans Temps sans pitié

Michael Redgrave et Leo McKern dans Temps sans pitié

Temps sans pitié fut sans doute conçu au départ par ses auteurs comme un plaidoyer contre la peine de mort. David Graham (Michael Redgrave) atterrit à Londres pour tenter de prouver l’innocence de son fils, condamné pour le meurtre de sa maîtresse, et qui doit être exécuté dans vingt-quatre heures. Ce thème subsiste, mais la forme (cet « emploi classique du baroque » dixit Jacques Lourcelles) et le fond dépassent à la fois le message humaniste et le genre du thriller. Les conventions du film criminel sont bafouées dès le prologue. Dans un climat de violence paroxystique le spectateur assiste à la scène du meurtre, commis par le père d’un ami du jeune homme injustement accusé, dans un appartement luxueux dont l’un des murs est décoré par un tableau de Goya, « Le Taureau », chargé d’une valeur expressive et symbolique. Contrairement au roman dont il est adapté Temps sans pitié ne laisse planer aucun suspens sur l’innocence du fils de Graham ni sur la culpabilité de Robert Stanford (Leo McKern), industriel brutal et vulgaire. Les enjeux du film se situent ailleurs : d’abord dans un compte à rebours angoissant qui insuffle au récit un rythme frénétique, presque insoutenable. La mise en scène de Losey fourmille d’idées qui signifient la fuite inexorable du temps et le peu d’heures dont dispose Graham pour sauver son fils. Ensuite dans la psychologie des personnages. Temps sans pitié dresse le portrait d’un homme brisé – son alcoolisme l’a longtemps tenu éloigné de son fils – et d’un père défaillant auquel la vie offre une occasion tragique et cruelle de se racheter. Les scènes entre le père et le fils, pleines de honte, de ressentiment et d’amour déçu sont superbes. On a rarement vu au cinéma description aussi poignante des ravages de l’alcool et Michael Redgrave, gravement malade d’éthylisme dans la vie, livre une interprétation remarquable. La relation que noue Graham avec Stanford au cours de son enquête permet à Losey de donner à cette histoire policière une dimension politique, plus subtile que dans ses futures collaborations avec le dramaturge Harold Pinter. Stanford est un parvenu qui croit que sa fortune le situe au-dessus des lois et de la morale mais Temps sans pitié est avant tout une tragédie, où les hommes sont victimes de forces qui les dépassent, où s’accomplit le combat désespéré entre l’instinct et la raison, l’animalité et l’intelligence, le crime et la justice.

 

 

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