Olivier Père

Wes Craven (1939-2015)

Wes Craven

Wes Craven

Wes Craven est décédé dimanche 30 août d’un cancer du cerveau à l’âge de 76 ans, dans sa maison de Los Angeles. La disparition de Wes Craven, « master of horror » – même s’il ne participa pas à la série qui porte ce titre – invite à une lecture rétrospective de sa filmographie exclusivement consacrée à la peur, à l’exception d’un mélo musical oublié avec Meryl Streep à la fin des années 90. Contemporain des cinéastes à l’origine du renouveau du cinéma d’horreur américain au début des années 70 (Tobe Hooper, John Carpenter, Larry Cohen, John Landis, Joe Dante), Craven se distingue cependant de cette génération qui affiche de façon ostentatoire sa cinéphilie et inaugure des principes citationnels bientôt assimilés par le système hollywoodien (Carpenter, héritier autoproclamé de Hawks; Landis et Hooper gavés de séries B). Loin des écoles de cinéma ou des plateaux de Roger Corman, Craven est en 1970 un universitaire et enseigne les sciences humaines. C’est en intellectuel dévoyé en rupture de classe qu’il intègre professionnellement les milieux cinématographiques, travaillant pour un obscur producteur de films pornos, Sean S. Cunningham, qui deviendra célèbre quelques années plus tard grâce à la série très rentable (et très nulle) des Vendredi 13. A l’instar de William Lustig et Abel Ferrara, Craven se fait donc (non officiellement !) la main dans le X, avant de réaliser son premier film, La Dernière Maison sur la gauche (Last House on the Left, 1972), produit par Cunningham.

La Dernière Maison sur la gauche

La Dernière Maison sur la gauche

La Dernière Maison sur la gauche demeure l’un des films les plus dérangeants jamais réalisés, dont Craven refusa longtemps de parler, honteux d’être allé trop loin à l’époque. Iil s’agit d’un remake approximatif de La Source de Bergman, preuve que Craven n’avait pas perdu toutes ses lettres en sombrant dans la fange de Hollywood Boulevard : deux jeunes filles sont violées et assassinées par des voyous, qui subiront la vengeance d’une sauvagerie inouïe des parents des victimes, un couple de bourgeois libéraux. Perçu comme une apologie nauséeuse de l’autodéfense, le film fut hâtivement taxé de crypto fasciste, au même titre que la série des Death Wish avec Charles Bronson. Malgré une complaisance évidente dans la violence graphique (castration buccale d’un des violeurs, dents éclatées au burin…), certains furent assez perspicaces pour déceler dans La Dernière Maison sur la gauche un brûlot libertaire à l’instar des film de George A. Romero, fustigeant les valeurs morales de l’Amérique, une attaque frontale de la famille et de la propriété. La suite de l’œuvre de Craven allait leur donner raison. Deuxième « shocker » de Wes Craven après La Dernière Maison sur la gauche, La colline a des yeux (The Hills Have Eyes, 1977) est un nouveau récit d’horreur et de violence qui met à mal la famille américaine. Des vacanciers perdus en plein désert sont confrontés à une horde de cannibales dégénérés. Malgré l’amateurisme du tournage, le film réserve de bons moments d’hystérie et Craven démontre avec ce petit classique de l’horreur moderne que sous le vernis de la civilisation, la barbarie ne tarde pas à ressurgir en chacun de nous lorsqu’il s’agit de défendre sa propriété ou ses enfants. Une fois encore, le cinéaste se plaît à révéler la barbarie tribale enfouie sous le vernis de la civilisation, assène aux spectateurs des images insoutenables. La colline a des yeux, proche par certains aspects de Massacre à la tronçonneuse, nous rappelle aussi que dans le cinéma américain des années 70 les notions d’indépendance artistique et de subversion politique n’étaient pas encore galvaudées. On a toutefois le droit de lui préférer son remake encore plus efficace et brillamment réalisé par Alexandre Aja en 2006.

Après ces deux succès, la carrière de Craven, toujours à l’écart des grands studios, se partage entre des œuvres routinières pas désagréables, des travaux alimentaires pour la télévision, des ratages, et surtout une belle surprise au box-office : Les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street, 1984) bande inventive et truffée d’effets spéciaux sur des adolescents assassinés dans leurs rêves par le spectre d’un tueur pédophile, brûlé vif par les parents de ses victimes, qui engendrera de nombreuses suites transformant une figure maléfique en monstre parodique et rigolard.

Les Griffes de la nuit

Les Griffes de la nuit

L'Emprise des ténèbres

L’Emprise des ténèbres

Le cinéaste renouera avec sa veine contestataire le temps de deux excellents films fantastiques : L’onirique Emprise des ténèbres (The Serpent and the Rainbow, 1988) qui confronte en Haïti les superstitions vaudous à la menace physique des tontons macoutes et Le Sous-sol de la peur (The People Under the Stairs, 1991) dans lequel un couple de pervers séquestre des enfants à la frontière du ghetto noir de Los Angeles. C’est avec They Live de John Carpenter le film de genre américain de cette période le plus ouvertement politique, une critique sociale virulente que l’on peut préférer aux pamphlets moralisateurs de Spike Lee.

Le Sous-sol de la peur

Le Sous-sol de la peur

Craven réalise en 1994 Freddy sort de la nuit (Wes Craven’s New Nightmare), film réellement ambitieux et réflexif, une mise en abyme qui décrit les interférences que provoque la série des « Freddy » dans la vie privée de ses protagonistes. Paradoxalement, Wes Craven a créé l’une des plus célèbres icônes du cinéma fantastique de divertissement (le croquemitaine Freddy Krueger) alors qu’il est d’abord un cinéaste de l’horreur concrète et des phobies quotidiennes. Ses tentatives de modernisation des mythes traditionnels (la comédie Un vampire à Brooklyn avec Eddie Murphy, Cursed histoire de loup-garou à Los Angeles) se sont soldées par de cuisants échecs. Cette approche réaliste du fantastique s’est longtemps incarnée dans une mise en scène sans effets, presque frustre (la photo de ses premiers films est d’une laideur clinique) aux antipodes d’une certaine sophistication hollywoodienne ou même des effets de style de son collègue Carpenter. Wes Craven démontre dans ses meilleurs films que la société américaine génère ses propres monstres, non pas dans ses dysfonctionnements mais au contraire dans sa logique consumériste et ses principes fondateurs respectés jusqu’à l’absurde.

Wes Craven a réalisé avec Scream (1996), son triomphe commercial, écrit par Kevin Williamson, un film très malin qui a remis l’horreur au goût du jour grâce à une bonne dose de second degré et de distanciation ironique. On peut concéder à Scream d’excellentes idées de mise en scène et une indéniable efficacité, mais cette histoire de tueur masqué et cinéphile dans un campus porte aujourd’hui la responsabilité d’une série de suites cyniques, imitations et parodies toutes plus nulles les unes que les autres, qui pourrirent pendant plus d’une décennie toute la production fantastique américaine sérieuse.

Scream qui aurait dû relancer la carrière de Craven va l’enterrer, à coup de suites indigentes, de tentatives ratées et de nouvelles productions de genre destinées aux adolescents, incapables de renouer avec le succès critique et public.

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