Olivier Père

Les Fraises sauvages de Ingmar Bergman

ARTE poursuit son court cycle Ingmar Bergman en diffusant lundi 20 juillet à 23h50 Les Fraises sauvages (Smultronstället, 1957), l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste suédois, l’un de ses plus grands succès aussi et le titre de sa consécration internationale, avec Le Septième Sceau tourné la même année.

La veille de la cérémonie qui doit honorer et célébrer sa longue carrière de médecin, le professeur Isak Borg (Victor Sjöström, l’auteur de La Charrette fantôme et du Vent, grand cinéaste du muet en Suède et à Hollywood) fait un rêve étrange où il est confronté à sa propre mort. Le lendemain, il décide de partir en voiture à l’université de Lund en compagnie de Marianne (Ingrid Thulin), sa belle-fille. Durant le trajet, au fil des rencontres, des discussions et des rêves, le vieux professeur fait le bilan d’une vie gâchée par l’égoïsme, de retour sur les lieux de sa vie passée. Il revoit sa jeunesse avec le coin des fraises sauvages où l’entraînait sa cousine, dans le jardin de la maison familiale. Puis il évoque ses souvenirs de médecin de campagne. Il finira par se réconcilier avec lui-même.

On ne parlait pas de « road-movie » dans les années 50, et en Europe encore moins qu’aux Etats-Unis, et pourtant Les Fraises sauvages en est un, avant l’heure. Le déplacement géographique du professeur sur les routes de la campagne suédoise se double d’un voyage mental dans le temps et la mémoire, un retour aux origines de l’enfance tandis que le couronnement de sa carrière, antichambre de la mort, approche, au bout du chemin de l’existence.

Bergman joue brillamment avec le temps et l’espace, les retours en arrière, les scènes de rêve mêlées à la réalité avec une extraordinaire fluidité. Le film débute sur une séquence onirique où le vieux professeur, à la veille de son voyage, rêve à sa propre mort, dans une ruelle métaphysique où les horloges n’ont pas d’aiguilles. Bergman avouera que ce rêve comme celui de l’oral catastrophique devant des examinateurs dans une classe d’école, étaient d’authentiques rêves dont il se souvenait.

Alors âgé seulement de trente-sept ans et ayant déjà réalisé seize longs métrages (!), constamment accablé par la maladie, la dépression et le surmenage, Bergman imagine dans Les Fraises sauvages son autoportrait en vieillard, traversé par les mêmes angoisses que son personnage, et ce sentiment tenace d’avoir raté sa vie, malgré le succès et une gloire précoce.

Bergman écrit au début de Images publié en 1990 : « La force motrice des Fraises sauvages est donc une tentative désespérée de me justifier face à des parents mythiquement démesurés qui me tournent le dos – tentative vouée à l’échec. C’est seulement des années plus tard que père et mère se sont transformés pour moi en des êtres aux proportions normales et que ma haine infantile et furieuse s’est dissoute, a disparu. Nous nous sommes alors rencontrés dans l’affection, la compréhension réciproques. » Les scènes de réunion familiale des Fraises sauvages trouveront en effet un écho heureux dans Fanny et Alexandre, le testament de Bergman diffusé le même soir sur ARTE.

Avant de se conclure sur des images d’apaisement, Les Fraises sauvages se révèle aussi l’un des films les plus optimistes, sensuels et drôles de Bergman – notamment grâce aux jeunes zazous que le vieux professeur prend en auto-stop, parmi lesquels la mutine Bibi Andersson. Le critique Jean-Luc Godard ne s’y trompera pas en envoyant un télégramme enflammé du Festival de Berlin – où Les Fraises sauvages remporta l’Ours d’or – expliquant en substance que si l’on multipliait Heidegger par Giraudoux on obtenait Bergman.

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