Olivier Père

Le Grand Sommeil de Howard Hawks

ARTE diffuse dimanche 12 juillet à 20h45 Le Grand Sommeil (The Big Sleep, 1946) de Howard Hawks dans le cadre d’une soirée en hommage à Lauren Bacall. Le Grand Sommeil est un classique du film noir hollywoodien réalisé par un cinéaste emblématique de la politique des auteurs. Le Grand Sommeil, d’après un roman de Raymond Chandler, adapté par William Faulkner, Leigh Brackett et Jules Furthman, permettait au producteur Jack Warner de réunir à nouveau devant la caméra de Howard Hawks le couple Bogart/Bacall, qui avait fait des étincelles l’année précédente dans Le Port de l’angoisse du même Hawks (diffusé sur ARTE le 19 avril). Terminé en mars 1945, le film patienta pourtant dix huit mois sur les étagères du studio avant d’être distribué, pour deux raisons : Le Grand Sommeil, histoire de détective privé sans référence avec la Seconde Guerre mondiale, n’avait pas la priorité sur les films de propagande produits par la Warner et qui devaient impérativement sortir avant la fin du conflit. Mais surtout Lauren Bacall venait de tourner Confidential Agent, un grave échec artistique et commercial. Après avoir ébloui le public et la critique aux côtés de Bogart, de sérieux doutes se faisaient entendre sur ses talents d’actrice. L’initiative d’un nouveau montage du Grand Sommeil, susceptible de valoriser davantage Bacall, provient de son agent (et celui de Hawks) Charles K. Feldman, un des hommes les plus influents de Hollywood, qui réussit à convaincre Jack Warner de tourner de nouvelles scènes avec le couple, « aussi agressives et provocantes que dans Le Port de l’angoisse ».

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Grand Sommeil

Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Le Grand Sommeil

C’est ainsi que Hawks filma un an après les derniers tours de manivelle des scènes additionnelles, parmi lesquelles la célèbre conversation au restaurant, modèle de double sens, où Bacall et Bogart parlent de sexe en terme de course hippique. Warner souhaitant que le film conserve sa durée initiale (114 minutes), ces modifications entraînèrent des coupes à l’intérieur du film. Si la pratique du remontage et de la reprise du tournage est relativement courante sur des films victimes d’accidents de parcours ou de projections tests catastrophiques, il est très rare qu’un film considéré par tous comme excellent subisse un tel traitement, symptomatique du poids du star system de l’époque. Hawks, grand prince, sort vainqueur de cette manœuvre de studio. D’une part, les deux stars insistèrent pour que se soit lui et personne d’autre qui tourne les nouvelles scènes, d’autre part Hawks accepta sans rechigner car il savait très bien que le résultat final n’en subirait aucun dommage, puisqu’il avait construit son film comme un agencement de scènes quasiment autonomes, qui lui permettaient de captiver le public malgré une histoire très complexe, à la limite de l’incompréhensibilité. « C’était la première fois que je faisais un film en décidant une fois pour tout que je n’aimais pas expliquer les choses. J’allais juste essayer d’avoir de bonnes scènes » (in Hawks par Hawks, de Joseph Mc Bride). Les bonnes scènes, Le Grand Sommeil les accumule. C’est un enchaînement implacable d’affrontements, plus souvent verbaux que physique, dessinant un véritable labyrinthe qui nous plonge dans les ténèbres (pas grand chose à voir avec le cinéma hollywoodien récent, qui n’a retenu que la moitié de la leçon hawksienne – l’histoire n’a plus grande importance, mais le spectateur a trop souvent dix minutes d’avance sur les protagonistes). Perdu le sens, que reste-t-il ? Hawks réalise avec Le Grand Sommeil la plus belle étude comportementale qui soit, où s’expriment idéalement ses deux obsessions majeures : le professionnalisme – Philip Marlowe mène jusqu’au bout une enquête dont lui et Hawks n’ont que faire – et l’intelligence, froide de préférence, qui caractérise aussi bien les actes du héros hawksien que son discours amoureux.

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