Olivier Père

Hommage à Sergio Sollima

Le troisième Sergio du western italien n’est plus. Troisième à disparaître et peut-être troisième en notoriété auprès du grand public. Mais cela n’implique pas forcément une hiérarchie évidente entre Sergio Leone, Sergio Corbucci et Sergio Sollima. Ce dernier, qui est décédé à Rome le 1er juillet 2015 à l’âge de 94 ans, avait en effet signé coup sur coup deux chefs-d’œuvre du genre : Colorado et Le Dernier Face-à-face. On lui doit aussi deux extraordinaires polars admirés des connaisseurs, Cité de la violence et La Poursuite implacable.

Après avoir écrit les scénarios de quelques péplums et signé d’anonymes films d’espionnages au début des années 60, Sergio Sollima va réaliser trois westerns et deux polars qui vont le placer parmi les cinéastes maniéristes les plus inspirés de cette époque riches en petits maîtres et en grands films.

Colorado (La resa dei conti, 1966) est l’histoire d’une chasse à l’homme. Un shérif vieillissant (Lee Van Cleef) tenté par la vie politique accepte une dernière mission : poursuivre un paysan mexicain accusé du viol de la fille d’un gros propriétaire. Mais sa proie, rusée et experte dans le lancer du couteau va se révéler extrêmement difficile à capturer.

S’il fallait ne garder qu’un western italien, ce serait sans doute Colorado. Il n’est pas signé Sergio Leone mais Sergio Sollima qui en deux westerns géniaux (Colorado et Le Dernier Face-à-face) s’est affirmé comme l’un des meilleurs cinéastes pas seulement du cinéma bis mais du cinéma italien de l’époque tout court. Colorado est un classique du western italien qui refuse les facilités de ce sous-genre honni (le sadisme et la rigolade) et offre une subtile fable politique mais aussi un spectacle opératique.

La mise en scène de Sollima, sèche et précise, atteint à plusieurs occasions (la scène où Cuchillo se transforme en gibier humain, poursuivi dans des champs de maïs par un meute de chiens ou le duel final, pistolet contre couteau, …) un lyrisme incroyable, entretenu par la musique et la chanson géniales de Ennio Morricone.

L’objectif de Sergio Sollima fut de réaliser des drames humains et des allégories politiques qui n’empruntaient au western européen que son contexte et ses oripeaux les plus superficiels. Les thèmes abordés par Sollima dans Colorado (les pièges de l’identification, la prise de conscience, la lutte des classes, l’héroïsme du tiers-monde) rattachent le film à la mode contemporaine de la fiction de gauche, englobant projets engagés et œuvres de dénonciation plus ou moins commerciales ou opportunistes. Sollima a ainsi déclaré que ses deux personnages antagonistes, le shérif yankee et le péon mexicain, auraient tout aussi bien pu être un parachutiste français et un combattant algérien ou un marine américain et un soldat Viêt-Cong. Heureusement Sollima ne néglige jamais le cinéma au profit du message, et crée un extraordinaire opéra à ciel ouvert, poignant et mouvementé. Le film devient inoubliable grâce au personnage de Cuchillo, interprété par le génial cabotin Tomas Milian et qui se transforma instantanément en héros du public populaire. Sollima signera d’ailleurs une seconde aventure de Cuchillo, Saludos Hombre (Corri uomo corri, 1968), hélas moins percutante, moins bien écrite et mise en scène que la première, mais toujours avec un Tomas Milian en pleine forme, qui passe de la bouffonnerie grandiloquente à la plus bouleversante émotion.

Tomas Milian dans le rôle de Cuchillo dans Colorado

Tomas Milian dans le rôle de Cuchillo dans Colorado

Cuchillo, gibier de potence transformé en héros, devint immédiatement l’idole des mouvements gauchistes italien et du public populaire, incarnant la revanche du sous-prolétariat asservi par la loi et le capital. C’est également avec ce rôle que Tomas Milian, jeune acteur dandy originaire de la grande bourgeoisie cubaine exilé à Rome au début des années 60, se spécialisa dans les rôles de mécréants exubérants, allant jusqu’a devenir la mascotte du peuple romain en créant les personnages de Monezza et Nico.

 

Sollima, de la suite dans les idées, va approfondir les thématiques de Colorado avec Le Dernier Face-à-face (Faccia a faccia, 1967), variation axée autour d’un autre couple masculin antagoniste et parabole puissante sur la violence d’état et la barbarie.

Gian Maria Volonte et tomas Milian dans Le Dernier Face-à-face

Gian Maria Volonte et Tomas Milian dans Le Dernier Face-à-face

Le Dernier Face-à-face est le western le plus abouti et ambitieux de Sergio Sollima. Le film raconte le récit initiatique d’un professeur moribond (Gian Maria Volonte) qui au contact de l’Ouest sauvage et d’un bandit bestial (Tomas Milian, une nouvelle fois grandiose – photo en tête de texte) retrouve force et santé mais développe également un goût malsain pour la violence qui le conduira au fascisme. Tandis que dans un mouvement dialectique le hors-la-loi n’obéit plus seulement à son instinct de survie et s’humanise au contact de l’ntellectuel. Le Dernier Face-à-face est une épopée lyrique doublée d’une fable politique sur la violence individuelle et la violence d’État. Il faut envisager le chef-d’œuvre de Sollima comme le contrepoint ironique – et beaucoup plus subtil – des fictions de gauche qui dominaient le cinéma d’auteur italien de l’époque (les films de Petri, Rosi…) et qui voulaient dresser le constat de la crise sociopolitique du pays. On a depuis fustigé le manichéisme de ces œuvres de dénonciation construites sur un processus d’identification du spectateur à un personnage témoin (juge, journaliste, dans le film de Sollima le professeur humaniste). Sollima inverse et complexifie ce schéma narratif, grâce à un scénario maquillé en « métaphore politique très astucieuse » comme le note Serge Daney dans La Rampe. Daney soulignait l’intelligence de « l’admirable spaghetti-western de Sergio Sollima, Le Dernier Face-à-face, où un tel mécanisme – je vois, donc je prends conscience – est perverti et ridiculisé à force d’âtre répété tout au long du film. » Ceux qui fustigent le simplisme de western italien doivent donc découvrir ce Dernier Face-à-face, qui rejoint les chefs-d’œuvre inconnus d’une histoire transversale du cinéma italien.

Après ses trois westerns Sergio Sollima a réalisé un thriller international d’une grande brillance formelle, une histoire de tueur à gages et de mafia, avec une nouvelle fois des ramifications politiques. Cité de la violence (Città violenta, 1970) offre à Charles Bronson, plus monolithique que jamais, un de ses meilleurs rôles. « Je l’ai dirigé comme un animal sauvage » nous avait confié Sollima qui avait auparavant dû gérer les conflits d’égos de Volonte et Milian devant et derrière la caméra pendant Le Dernier Face-à-face. Des enfantillages en comparaison du comportement violent, alcoolisé et irascible de Oliver Reed sur le tournage de La Poursuite implacable (Revolver, 1972).

La Poursuite implacable est le dernier grand film de Sollima, et c’est aussi le plus sombre. Il s’agit d’un prolongement policier de ses westerns, construit autour d’un couple viril antagoniste représentant la loi et l’insoumission, l’ordre et la marginalité. Un directeur de prison dont la femme a été enlevée est contraint de libérer un jeune voyou. Les deux hommes vont se retrouver au cœur d’un complot de large envergure, entre Milan et Paris. Délaissant le lyrisme du Dernier Face-à-face, Sollima signe un polar urbain nerveux et oppressant qui capte le désarroi de l’Italie du début des années 70, minée par les tensions étatiques et les conspirations d’extrême-droite. À l’utopie révolutionnaire de ses westerns succède un profond pessimisme. Dans le contexte du cinéma d’action, le scénario évite la lourdeur démonstrative des « fictions de gauche » très en vogue à l’époque. Le duo formé par Oliver Reed et Fabio Testi, dans leurs meilleurs rôles, fonctionne à merveille et Sollima bénéficie une nouvelle fois de l’apport essentiel d’Ennio Morricone, dont la musique obsessionnelle scande le périple sans espoir des deux protagonistes. La chanson en français « un ami » au générique de La Poursuite implacable fut reprise dans sa version instrumentale de manière originale et inattendue par Quentin Tarantino dans Unglourious Basterds.

La Poursuite implacable

La Poursuite implacable

La carrière cinématographique de Sollima ne se relèvera pas de l’échec commercial de La Poursuite implacable, désormais reconnu comme l’un des meilleurs thrillers européens des années 70. Amateur de voyages, lointain descendant de Soliman le Magnifique selon ses dires, Sollima accepta de travailler pour la RAI et de réaliser un des triomphes de l’histoire de la télévision italienne, la série Sandokan diffusée pour la première fois en 1976, véritable phénomène socioculturel pour plusieurs générations de téléspectateurs. Adapté du roman d’aventures exotiques de Emilio Salgari Les Tigres de Mompracem (1900) et interprété par Kabir Bedi dans le rôle de Sandokan, pirate malais luttant contre l’oppresseur anglais, cette série au propos anticolonialiste connut plusieurs suites et déclinaisons sur le petit et le grand écran.

Nous avions eu la chance de rencontrer et de passer plusieurs jours avec Sergio Sollima en 2001, à l’occasion d’une rétrospective sur le western européen organisée par la Cinémathèque française et le Festival d’Amiens, puis quelques années plus tard pour présenter La Poursuite implacable dans le cadre d’une carte blanche aux Inrockuptibles à L’Etrange Festival. Homme modeste et chaleureux, mais fidèle à ses principes et à ses idées, il avait sans doute fait passer certaines convictions morales avant sa carrière de réalisateur, préférant tourner peu mais bien, et refusant de participer au tout-venant de la production commerciale d’une industrie cinématographique transalpine souvent cynique et opportuniste.

Saludos Sollima.

Samedi 10 novembre 2001 Sergio Sollima était venu à la Cinémathèque française présenter Le Dernier Face-à-face, dans la salle des Grands Boulevards.

Samedi 10 novembre 2001. Avec Sergio Sollima venu présenter Le Dernier Face-à-face à la Cinémathèque française , dans la salle des Grands Boulevards. Photo Daniel Keryzaouën.

 

 

 

 

 

 

 

 

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