Olivier Père

Reality de Matteo Garrone

ARTE diffuse lundi 22 juin à 22h15 Reality de Matteo Garrone, Grand Prix du Jury du Festival de Cannes en 2012.

Avant de se perdre dans son Tale of the Tales Matteo Garrone pouvait passer pour le meilleur héritier du grand cinéma italien, comme l’avait déjà démontré Gomorra dans la lignée de Francesco Rosi, capable de dire des choses justes et très contemporaines sur son pays en faisant des films d’une facture brillante. Reality le démontre brillamment. Le film s’inscrit dans la tradition de la comédie italienne, noire, grimaçante et même effrayante, miroir à peine déformé de la réalité sociale, culturelle et politique de la péninsule. Plus précisément la comédie napolitaine, avec ses personnages et son dialecte haut en couleur, réservoir intarissable de situations grotesques, cruelles et hilarantes. Les nouveaux monstres de Matteo Garrone, pour reprendre le titre d’un chef-d’œuvre de Scola, Monicelli et Risi qui fut aussi le chant du cygne d’un genre d’une grande richesse, sont une famille prolétaire dont le mari, poissonnier et petit arnaqueur, amuseur à ses temps perdus, rêve de participer à l’émission Big Brother, d’abord poussé par ses enfants. Il se rend à Rome pour passer une audition (organisée dans l’enceinte des studios Cinecittà !) croit très fort en sa chance puis perd pied avec la réalité, obsédé par cet objectif dérisoire.

La télé-réalité représente sans doute le degré zéro du spectacle et de la notoriété. C’est hélas pour ses participants et ceux qui la regarde un horizon ultime de réussite et de fortune qui rappelle que l’Italie est passée en quelques années du cinéma le beau du monde à la télévision la plus stupide du monde, comme un laboratoire expérimental et une prophétie de ce qui allait bientôt se répandre dans toute l’Europe.

Le film, chaleureux, coloré et débordant de vie, à l’image des quartiers populaire de Naples, enchante par son humour et le bagout de ses comédiens. Il bascule dans la fable et l’allégorie, soudain plus fellinien que risien, lorsque le chef de famille, se sentant observé par des espions de la télévision, décide d’adopter une conduite irréprochable en venant au secours des pauvres de son quartier, à la manière d’un saint partageant nourriture et même mobilier avec les nécessiteux (on pense alors à la période chrétienne de Fellini scénariste de Rossellini ou cinéaste des Nuits de Cabiria.)

La télévision n’est plus cet écran plat qui hypnotise les foyers dans le salon ou la cuisine, ou ce bocal dans lequel on enferme quelques élus en pâture aux regards de téléspectateurs voyeurs à la recherche de leur propre reflet. La télévision, c’est le monde tout entier, ou du moins l’Italie désignée comme un corps malade. Nous ne regardons plus la télévision, c’est la télévision qui nous regarde (Big Brother, en effet). Le film passe de la bouffonnerie à la folie, avec une dernière séquence aux dimensions oniriques ou miraculeuses.

 

Le film est également disponible en Replay sur ARTE+7.

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