Olivier Père

Cannes 2015 Jour 12 : Trois Souvenirs de ma jeunesse de Arnaud Desplechin (Quinzaine des Réalisateurs)

Philippe Garrel nous en parlait comme le meilleur film de l’année, déjà. Et si il avait raison ? Le meilleur film de Arnaud Desplechin en tous cas, depuis le coup d’éclat de La Sentinelle – auquel on pense, bien sûr, lors de la première partie digne d’un roman d’espionnage métaphysique, entre Kafka et Le Carré. Trois Souvenirs de ma jeunesse n’est pas meilleur au sens de plus maîtrisé ou plus parfait, mais parce qu’il provoque l’enthousiasme devant un auteur qui tout en creusant un sillon fait de références à sa propre œuvre (un « prequel » de Comment je me suis disputé…) et aux maîtres admirés (Bergman et Truffaut) se livre à une forme de nouveau départ, sur le mode de la première fois. Première rencontre, premiers émois, première dispute, première séparation… La vie, l’amour et la jeunesse y sont évoqués avec une justesse rare.

Trois souvenirs de ma jeunesse (sous-titré « nos arcadies ») raconte comment une vie peut trouver à la fois son explication et son mystère dans une énigme et quelques scènes traumatiques, la première étant une mère folle et (auto)destructrice qui terrorise son fils Paul (Dédalus) avant sa mort prématurée. Il y a ensuite un échange d’identité lors d’une rocambolesque mission secrète, jeune adolescent, en voyage scolaire en URSS. C’est l’expérience fondatrice d’un secret, dont découlera la découverte de l’existence d’un double (« quelque part au monde j’ai un double »), à moins que ce soit Paul lui-même le double.

Le souvenir le plus long du film concerne l’histoire d’amour entre Paul et Esther, la première femme de sa vie, leur relation tumultueuse et passionnelle à Roubaix puis à distance, propice à une belle relation épistolaire. Paul part étudier l’anthropologie à Paris, tandis que sa fiancée reste en province, courtisée par de nombreux garçons. Desplechin signe un grand film romanesque sur la mémoire et le sentiments, génialement écrit et interprété, qui ne cesse de surprendre par sa structure narrative, naviguant avec beaucoup d’élégance entre le passé et le présent, l’euphorie et la mélancolie.

Les histoires sentimentales de son héros y croisent les questionnements philosophiques de Desplechin sur la foi, la mort et la judéité, mais aussi son rapport au XXème siècle. Lorsque Paul assiste à la chute du mur de Berlin en direct à la télévision, il regarde avec tristesse la fin de son enfance. Mais le cœur fantastique du film demeure la fascination des hommes pour les femmes, continent noir que Desplechin n’a jamais abordé avec autant d’intimité et de sensualité. Après avoir fait l’amour Paul dit à Esther au sujet de l’orgasme que « les hommes viennent, mais les femmes partent. » Merveilleux dialogue qui souligne le caractère insaisissable, l’altérité ontologique de la femme aimée.

Trois Souvenirs de ma jeunesse est sorti en salles depuis le 20 mai, à voir absolument.

 

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