Olivier Père

La fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel

ARTE diffuse lundi 6 avril à 22h30 La fièvre monte à El Pao (1959) de Luis Buñuel, lors d’une soirée en hommage à Gérard Philipe.

Dans l’histoire du cinéma, ce film est connu pour être le dernier de Gérard Philipe – il décédera d’un cancer du fois foudroyant quelques semaines après son retour du Mexique – et un titre mineur dans la carrière du grand Luis Buñuel.

Si la première assertion n’est guère contestable, la seconde doit être nuancée à l’aune de la redécouverte du film. La période mexicaine de Buñuel a été réévaluée depuis longtemps, ses trois longs métrages réalisés dans le système de production commercial français des années 50 pas tout à fait. Cela s’appelle l’aurore, La Mort en ce jardin, et La fièvre monte à El Pao – deux sur trois on été tournés au Mexique – méritent pourtant l’attention des cinéphiles, car c’est toute l’œuvre de Buñuel qui est admirable.

Ce sont des films inscrits dans la tradition des drames avec des vedettes populaires et du cinéma d’aventures, mais aussi et surtout des films politiques – antifascistes – dans le sens le plus juste du terme. Buñuel mentionnait Cela s’appelle l’aurore parmi ses films favoris, mais ne gardait un bon souvenir ni de La Mort en ce jardin ni de La fièvre monte à El Pao, qu’il désignait comme un film alimentaire. Quoi qu’il en soit, Bunuel tire vers le haut, par l’honnêteté de son point de vue et le rythme de sa mise en scène, un matériau littéraire de faible qualité.

Après l’assassinat du gouverneur d’une île d’Amérique centrale, son intérimaire (Gérard Philipe) fait preuve d’indulgence envers les prisonniers politiques, traités comme des droits communs. S’ensuivent une série de trahisons et une mutinerie aux conséquences tragiques. La conclusion du film témoigne du pessimisme et de la lucidité du cinéaste, qui n’ignore pas les conséquences de l’idéalisme et du courage dans un monde corrompu.

Dès les premières minutes Buñuel nous fait comprendre que La fièvre monte à El Pao va traiter des rapports de force et de domination, sur la scène politique, sexuelle et aussi amoureuse, avec un enchainement frénétique de situations placées sous le signe de la violence et du désir : des bagnards cassant des cailloux dans un pénitencier, une femme et son amant surpris par un autre homme, une scène de jalousie, une tentative de viol, un dialogue désenchanté sur l’engagement, un attentat meurtrier, des quartiers de viande destinés au peuple affamé, un mouvement de foule réprimé par l’armée…

Contrairement aux idées reçues Buñuel ne compense l’anonymat d’une commande en la saupoudrant de détails cruels et surréalistes tels le fétichisme récurrent des chaussures ou des jambes gainées de bas. Le film tout entier est fidèle au surréalisme, un mouvement qui n’était pas seulement esthétique, mais aussi révolutionnaire.

Si la rencontre entre Gérard Philipe et Luis Buñuel n’a pas vraiment donné des étincelles – l’acteur n’était pas fait pour le cinéaste de El – Maria Felix en femme sensuelle et sans scrupule et Jean Servais en salaud cynique et impitoyable sont parfaits. En bon lecteur de Sade Luis Buñuel s’amuse beaucoup à mettre en scène cette figure de pervers et d’exécuteur des basses œuvres de la dictature, qui parle à une perruche nommée Carlotta tout en ordonnant à la maîtresse de son ennemi de se déshabiller dans son bureau.

 

 

 

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