Olivier Père

Psychose de Alfred Hitchcock

ARTE diffuse Psychose (Psycho, 1960) de Alfred Hitchcock lundi 30 mars à 20h50.

Ce film, l’un des chefs-d’œuvre de son auteur, compte aussi parmi les titres les plus importants de l’histoire du cinéma. Psychose est l’affirmation géniale de la volonté permanente de renouvellement, et même de rupture, chez un cinéaste pourtant au sommet de son art à la fin des années 50. Alfred Hitchcock va surprendre et choquer tout le monde en décidant de repousser les limites du sexe et de la violence à l’écran alors que ses films précédents, y compris les plus sombres, respectaient les règles du cinéma hollywoodien, son star system et son glamour. Réalisé pour la première fois sans grande vedette, en noir et blanc et avec un budget modeste, Psychose laisse à penser que Hitchcock a décidé d’appliquer pour un film de cinéma plusieurs préceptes économiques et esthétiques de sa série « Alfred Hitchcock présente » réalisée pour la télévision. Ce dialogue entre grand et petit écran se retrouve à l’orée des années 60 dans l’œuvre d’autres cinéastes importants comme Ford (L’homme qui tua Liberty Valance) et Chaplin (Un roi à New York). Hitchcock, régulièrement tenté par l’expérimentation, l’invention de formes et l’usage de techniques nouvelles, sait que la légèreté du tournage de Psychose lui offre une liberté créatrice exceptionnelle. Cette liberté va s’exercer au profit d’une recherche de « cinéma pur » où, de l’art de la mise en scène à celui du montage, des effets sonores et musicaux à la gestion de l’espace, tout converge pour entrainer le spectateur dans un voyage au bout de la peur et de la folie dont le réalisme et les effets de reconnaissance le rendent encore plus terrifiant que tous les films fantastiques. Si Psychose peut être considéré comme le précurseur des « slashers », ces films d’horreur centrés sur les méfaits de tueurs psychopathes, c’est moins à cause de ses scènes sanglantes – Hitchcock est maître dans l’art de la suggestion, comme en témoigne le célèbre meurtre sous la douche – que de cette atmosphère de banalité quotidienne et de trivialité. Une employée de bureau qui couche avec son amant pendant la pause déjeuner et décide sur un coup de tête de voler son patron en pensant qu’une liasse de gros billets va résoudre tous ses problèmes ; un motel abandonné au bord d’une route de l’Arizona ; un jeune homme solitaire qui empaille des oiseaux… Psychose sera ainsi le premier film américain à montrer une cuvette de toilette dans une salle de bain qui deviendra le théâtre d’un des plus grands moments de cinéma jamais filmés. Nous sommes loin des héros élégants et de l’ambiance de luxe et de sophistication de La Main au collet ou de La Mort aux trousses.

C’est sans doute dans Psychose que Hitchcock instaure avec le spectateur la relation à la fois la plus directe et la plus perverse. Snobé par la critique américaine qui n’en perçoit pas immédiatement l’incroyable modernité au moment de sa sortie, Psychose sera au contraire un immense succès public dans le monde entier. Hitchcock se permet une audace jamais osée auparavant, en « éliminant » le personnage principal de son film à la moitié du métrage. Cette césure inattendue plonge le spectateur dans un état d’angoisse et d’expectative, puisque soudainement délesté du seul personnage porteur d’identification ou d’attachement sentimental il se retrouve à la merci d’un récit qui réserve encore plusieurs chocs et autres révélations terrifiantes. Au-delà de l’implacable mécanique du thriller Hitchcock exprime un bouleversement radical qui remet en question la narration classique et fait entrer le cinéma dans l’ère du doute. La même année que Psychose Michelangelo Antonioni fait lui aussi disparaître aussi définitivement que prématurément son héroïne dans L’avventura.

A partir de ces deux bornes cinématographiques matricielles les motifs de la césure, de la disparition et du recommencent d’un film avec d’autres protagonistes vont hanter le cinéma moderne et postmoderne et inspirer à intervalles réguliers des auteurs pour lesquels la forme est intimement liée à la narration. Vous pourrez le vérifier avec la diffusion lundi soir sur ARTE juste après Psychose de l’un des derniers exemples en date de ces « films coupés en deux », le formidable Policier de Nadav Lapid qui organise lui aussi, à sa manière dialectique, la rencontre impossible entre un corps d’homme et un corps de femme autour de l’idée de violence politique…

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