Olivier Père

Le Canardeur de Michael Cimino

Le Canardeur

Le Canardeur

Carlotta ressort aujourd’hui en DVD et Blu-ray dans un nouveau master restauré en HD Le Canardeur (Thunderbolt and Lightfoot, 1974), le premier long métrage mis en scène par Michael Cimino, avec un entretien inédit avec le réalisateur dans les compléments. D’abord scénariste, Cimino écrit avec un autre futur cinéaste, John Milius, le second et excellent épisode de la série des « Dirty Harry », Magnum Force signé Ted Post, puis convainc Clint Eastwood de le laisser diriger Thunderbolt and Lightfoot (titre moins stupide que sa « traduction » française, Le Canardeur) pour sa société de production Malpaso, un scénario personnel qu’il a écrit en pensant à lui. Ce magnifique coup d’essai marque la naissance d’un des talents les plus originaux du Nouvel Hollywood des années 70. Les ambitions du jeune cinéaste sont pourtant masquées derrière un matériau à première vue trivial : il s’agit d’un « buddy movie » mâtiné de film de holp up et de « road movie » picaresque avec des éléments comiques, destiné à mettre en valeur la star Eastwood. Non seulement Cimino parvient rendre à Eastwood moins monolithique que d’habitude, mais il offre aussi au jeune Jeff Bridges la possibilité d’éclipser la star. Le Canardeur n’a certes pas l’ampleur visuelle, la dimension opératique et historique des chefs-d’œuvre suivants de Cimino, qui fait ses gammes sur un tournage à petit budget. Cimino se situe de manière très consciente à la fin d’une généalogie du cinéma américain, après Ford et Peckinpah. Dès les premiers plans du film il magnifie les paysages américains (minutieux repérages effectués dans le Montana), exalte l’amitié virile et l’individualisme de ses héros, se montre élégiaque et attiré par les perdants et les déclassés. Cimino est un cinéaste à la fois sentimental et intellectuel, et son cinéma oscille entre la nostalgie des origines (son côté primitif), et une posture artistique très moderne (son côté maniériste). Dans Le Canardeur, il y a un ton grotesque et une iconoclastie qu’on ne retrouvera plus dans l’œuvre de Cimino, qui s’amuse à déguiser Eastwood en pasteur et Bridges en femme. Ce qui fut perçu comme de l’humour rustique hérité de Raoul Walsh cachait peut-être une dimension plus intime. Ce travestissement inattendu explicite l’homosexualité latente qui existe dans le personnage de Lightfoot (Bridges dans le rôle de Cimino), le jeune chien fou qui s’amourache de Thunderbolt (Eastwood, dans le rôle de Ford), le vieux loup solitaire. Il trouve un écho particulier aujourd’hui que Cimino, l’immense auteur de Voyage au bout de l’enfer et La Porte du paradis, fantôme échoué depuis la fin des années 80 dans le « no man’s land » des cinéastes maudits, entre hommages et « come backs » impossibles, est surtout célèbre pour ses bizarreries transformistes et ses multiples opérations de chirurgie esthétique.

Clint Eastwood et Jeff Bridges dans Le Canardeur

Clint Eastwood et Jeff Bridges dans Le Canardeur

Nous avons eu la chance de lire il y a deux ans déjà un scénario de Michael Cimino intitulé « Cream Rises », une histoire violente et désenchantée dans la Californie d’aujourd’hui autour de l’amitié de deux femmes marginales, l’une plus âgée que l’autre. Prostitution et alcoolisme. Avec la mort au bout du chemin. Un projet très « destroy » que l’on pouvait lire comme une version féminine et encore plus nihiliste du Canardeur. On l’avait dit au principal intéressé, qui n’avait pas refusé ce rapprochement, ce retour aux sources. Si seulement Cimino pouvait réaliser ce film…

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