Olivier Père

Cinéma fantastique espagnol en DVD

L’éditeur Artus, qui régale régulièrement les amateurs de cinéma bis avec ses livraisons de DVD, place la rentrée sous le signe de l’horreur espagnole, avec trois galettes disponibles à la vente à partir du 3 septembre, dans la collection « Cine de Terror » : Les Vampires du Dr. Dracula (La marca del hombre-lobo, 1968) de Enrique L. Eguiluz, La Mariée sanglante (La novia ensangrentada, 1972) de Vicente Aranda, Le Bossu de la morgue (El jorobado de la morgue, 1973) de Javier Aguirre.Parent pauvre et mal aimé de la production fantastique européenne, le cinéma espagnol n’a jamais engendré une compagnie de production aussi novatrice et inspirée que la Hammer en Grande-Bretagne ou des artistes aussi doués que Riccardo Freda et Mario Bava en Italie. L’Espagne peut se targuer en revanche d’avoir développé une industrie prolifique, principalement destinée à l’exportation, guère inquiétée par la dictature franquiste qui tolérait ces films naïvement sanguinolents, violents et dépourvus de contexte social à condition que leur action se déroulât hors du pays (souvent des contrées imaginaires d’Europe Centrale) et n’offense ni la religion ni le régime en place. Il y eut donc un petit âge d’or du cinéma fantastique ibérique dans les années 70.

Les Vampires du Dr. Dracula

Les Vampires du Dr. Dracula

À distinguer des honnêtes artisans et des tâcherons de la production populaire, les francs-tireurs du cinéma espagnol sont à l’origine des plus belles réussites du genre : ils se nomment Jess Franco (qui donne le coup d’envoi avec L’Horrible Docteur Orlof en 1962), Jorge Grau (Cérémonie sanglante, Le Massacre des morts vivants), Narciso Ibanez Serrador (La Résidence, Les Révoltés de l’an 2000) ou Vicente Aranda et l’originalité de leurs intentions alliée à leur style agressif légitime ce coup de projecteur sur un filon longtemps méprisé. Issu du mouvement avant-gardiste de l’école de Barcelone, Vicente Aranda rompt la routine du cinéma fantastique espagnol avec La Mariée sanglante, adaptation pirate de Carmilla de Sheridan Le Fanu, gore et sexuelle, qui bouscule les valeurs matriarcales et catholiques de la société franquiste. Cette sombre histoire de femmes vampires appartient à une mouvance plus intellectuelle et subversive de l’horreur espagnole, à une époque où les nouveaux cinéastes profitaient de l’indulgence de la censure franquiste vis-à-vis des productions violentes pour glisser quelques considérations anarchistes et anti-bourgeoises dans leurs films. La Mariée sanglante, film d’horreur très réussi, ancré dans les mœurs et la société ibériques contrairement à la plupart des productions du genre, n’est pas si éloigné des drames psychologiques contemporains de Carlos Saura : il parle en tout cas de la même chose, et propose lui aussi une allégorie du régime franquiste moribond en dénonçant le machisme ordinaire et le mariage considéré comme un viol légal, confrontés à la rébellion féministe et au saphisme. Une jeune mariée terrifiée par les désirs sexuels de son mari viril dominateur trouve refuge dans une rêverie au cours de laquelle elle croise une femme vampire adepte de la castration. Traversé par des images choquantes et même surréalistes – la nageuse enterrée sur la plage – La Mariée sanglante se conclut par une impitoyable répression des fantasmes féminins. La libération de la femme n’était pas pour demain dans l’Espagne des années 70…

La Mariée sanglante

La Mariée sanglante

Maribel Martín dans La Mariée sanglante

Maribel Martín dans La Mariée sanglante

Paul Naschy dans Les Vampires du Dr. Dracula

Paul Naschy dans Les Vampires du Dr. Dracula

Si les entreprises iconoclastes recèlent quelques belles surprises, Paul Naschy (photo en tête de texte, dans Les Vampires du Dr. Dracula) symbolise à lui seul le cinéma fantastique de série B espagnol, avec son cortège de vampires et de lycanthropes, et un attachement sincère au folklore gothique qui subit ici des métamorphoses et des travestissements inattendus. Un univers gentiment désuet et conservateur, à l’image de ces Les Vampires du Dr. Dracula (en fait une histoire de loup-garou, avec un vampire en guest star) qui lança la longue carrière de Paul Naschy dans son rôle fétiche de Waldemar Daninsky, lycanthrope romantique au maquillage en poils de yak (véridique).

Paul Naschy (1934-2009), de son vrai nom Jacinto Molina, fut l’acteur le plus prolifique du fantastique espagnol, et sa vedette incontestée. Ancien champion d’haltérophilie, sa carrière est presque exclusivement dédiée au fantastique et aux monstres du patrimoine. Après une apparition dans Le Roi des rois (1960) de Nicholas Ray, superproduction hollywoodienne tournée en Espagne, Naschy devient un habitué du cinéma populaire espagnol et obtient des petits rôles dans des films historiques et d’aventures, des westerns, des mélos des comédies. En 1968, il accède à la notoriété en sa transformant pour la première fois en loup-garou dans Les Vampires du Dr. Dracula de Enrique Eguiluz. Naschy, scénariste et producteur de la plupart de ses films, réalisateur de quatorze d’entre eux, exprima son amour des monstres du répertoire avec des nouvelles versions hautes en couleurs des classiques de la Universal de la Hammer. Tel un Lon Chaney ibérique, ce spécialiste des maquillages et des déguisements devint tour à tour vampire, momie, yeti, Mister Hyde, Jack l’Éventreur, inquisiteur, exorciste, général romain, Petiot, Gilles de Rais… Mais c’est sa création de Waldemar Daninsky, l’infortuné loup-garou héros d’une série de huit films (dont La Furie des vampires de Leon Klimovsky en 1970 et El retorno del Hombre-lobo de Paul Naschy lui-même en 1980), qui demeure son plus fameux titre de gloire.

Le Bossu de la morgue

Le Bossu de la morgue

Le Bossu de la morgue de Javier Aguirre compte parmi les meilleurs films de Paul Naschy. Notre Fregoli y incarne avec sa démesure habituelle, son goût de la performance et du jeu expressionniste le pathétique Gotho, bossu employé dans un hôpital, victime des brimades des carabins, et amoureux d’une malade incurable. Le décès de la jeune femme plonge Gotho dans un état de démence ; il entreprend de conserver son cadavre dans un souterrain, commet plusieurs meurtres et s’associe avec un savant fou rayé de l’ordre des médecins, prêt à tout pour donner vie à une créature qui ressemble d’abord à un blob, puis un homme goudron (moments les plus délirants du film).

Le Bossu de la morgue

Le Bossu de la morgue

Digne d’une bande dessinée pour adultes avec ses décors de catacombes, de salles de dissection et de laboratoires sinistres, son cortèges de chairs putréfiées et de détails sordides Le Bossu de la morgue est une série bandes sanguinolentes qui baignent du début à la fin dans une atmosphère macabre non exempte de poésie, avec des excès dignes du cinéma gore le plus outrancier, dans la lignée de H.G. Lewis, presque aussi dégoûtant que certains films de Joe D’Amato. A noter que Paul Naschy, souvent coscénariste de ses films, s’octroyait immanquablement une ou plusieurs scènes érotiques avec des jolies starlettes peu avares de leurs charmes à chaque tournage, ce qui dans le contexte macabre du Bossu de la morgue ne manque pas de surprendre le spectateur le plus indulgent.

Artus nous permet d’apprécier ces trois films pour la première fois dans des copies complètes non censurées et en version originale, tandis que nous les avions découvert dans des salles de quartier spécialisées dans des copies doublées, écourtées et de mauvaise qualité.

 

 

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