Olivier Père

Velvet Goldmine de Todd Haynes

Carlotta propose à la vente le DVD et le Blu-ray de Velvet Goldmine (1998) de Todd Haynes, disponible depuis le 28 mai. Ce qui nous a donné envie de revoir ce film étrange et séduisant.

C’est à ce jour l’œuvre la plus ambitieuse et excitante du cinéaste Todd Haynes, dont le travail épousa ou illustra avec régularité la cause homosexuelle au point d’en faire le plus célèbre représentant du nouveau cinéma « queer » américain sorti de la marginalité ou de l’expérimentation – Jack Smith, Kenneth Anger – et capable de toucher un plus large public. Les premiers longs métrages de Todd Haynes attirèrent l’attention des festivals et de la critique au point d’en faire la sensation du cinéma indépendant américain des années 90, aux côtés de Gus Van Sant. Le succès de Poison librement inspiré de textes de Jean Genet et de l’excellent Safe avec Julianne Moore lui permit de s’atteler à une production plus onéreuse, nécessitant de nombreux décors, une direction artistique luxueuse et une reconstitution historique puisqu’une grande partie de l’action se déroule dans les années 70. En ressuscitant la mode musicale du « glam rock » et ses stars, Todd Haynes veut sans doute livrer un plaidoyer pour le droit d’afficher sa bissexualité ou ses orientations transgenres, au travers des destinées de personnages androgynes, travestis et flamboyants. Mais Velvet Goldmine ne se résume pas à un film militant LGBT ou « cross-gender », et séduit avant tout par sa réflexion sur le monde du spectacle, la célébrité et l’étonnant voyage dans le temps et la mémoire qu’il propose. Velvet Goldmine s’inspire ouvertement des vies réelles et imaginaires de David Bowie, Iggy Pop ou T-Rex mais devant la détestation du projet par le principal intéressé, le « Thin White Duke » le réalisateur n’eut pas d’autre choix que de changer tous les noms et créer des musiques originales conçues comme des faux tubes de la période (signées par un faux groupe « The Venus in Furs » allusion transparente au « Velvet Underground »), mêlées à des quelques chansons de Brian Eno, Roxy Music ou Lou Reed, plus une touche de néo glam incarné dans les années 90 par Brian Molko. Mais rien de Bowie, et on se demande comment les auteurs purent obtenir le droit d’intituler le film Velvet Goldmine alors qu’on n’entend pas la chanson dans le film. Ce jeu des transpositions et des avatars ne rend que plus fantasmatique le film à clés de Todd Haynes, avec sa rock star factice qui s’invente de multiples identités fictionnelles jusqu’à disparaître sur scène, lors d’un simulacre d’assassinat, pour continuer à exister sous forme d’images, de fantômes et peut-être un nouveau visage, symbole d’une ère qui fabriqua des idoles comme des produits de consommation, vendus par les médias et l’industrie du spectacle. Loin des biopics musicaux traditionnels, Velvet Goldmine est avant tout un film warholien sur l’empire du faux et le caractère reproductible des stars de demain, modifiables et interchangeables selon les modes et la demande du marché.

Arthur Stuart (Christian Bale), jeune journaliste anglais exilé à New York, est chargé d’écrire un article sur Brian Slade (Jonathan Rhys Meyers), ancienne rock star britannique des années 1970 ayant orchestré l’assassinat de son propre personnage sur scène. Il va alors retracer la vie de cette énigmatique vedette du glam rock, de ses débuts sur scène à sa soudaine descente aux enfers, à travers les témoignages de son ex femme Mandy (Toni Colette) et de son ancien amant Curt Wild (Ewan McGregor), autre grande star de l’époque. Cette quête de la vérité est aussi l’occasion pour le journaliste de se replonger dans son passé…

Cinéphile, Todd Haynes emprunte la structure narrative de Velvet Goldmine à Citizen Kane. Le film est un kaléidoscope d’images et de souvenirs qui bousculent la chronologie et concernent aussi bien la vie de Brian Slade et sa clique que la biographie du journaliste qui enquête sur lui, adolescent fasciné par le phénomène glam rock et troublé par les pulsions homosexuelles que les deux chanteurs enamourés éveillent en lui. L’esthétique du film vient quant à elle directement de l’opéra rock de Ken Russell Tommy, des drames tordus de Nicolas Roeg et d’autres extravagances psychédéliques des années 70, mais le talent de cinéaste de Todd Haynes lui permet sans aucun mal à transcender ce matériau d’origine ingrat pour signer un film à la mise en scène brillante, au montage très sophistiqué et à la narration si complexe qu’elle en devient parfois – c’est l’une des qualités paradoxales du film – incompréhensible, du moins ambiguë et ouverte. C’est cette ambigüité qui rend le film si remarquable dans le panorama du cinéma indépendant new yorkais déjà très formaté. Le film fut coproduit par Miramax et les frères Weinstein et l’on peut imaginer sans peine le crêpage de chignon hystérique autour du budget et du montage final du film, qui ne fut pas le succès commercial escompté. Trop intelligent, trop subtil… Todd Haynes n’a pas manqué de panache. Ajoutons que tous les interprètes – alors moins connus qu’aujourd’hui – sont excellents, y compris Jonathan Rhys Meyers, qui n’est pas doublé pour le chant et se révèle encore plus sexy, maquillé et perruqué que Ziggy Stardust himself. C’est sans doute cela qui a dû énerver Bowie…

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *