Olivier Père

Manina la fille sans voile de Willy Rozier

Revu avec plaisir Manina La fille sans voile (1952) dans une copie restaurée par les Archives françaises du film et du dépôt légal du CNC, grâce Bach Films qui petit à petit édite en DVD l’œuvre complète de Willy Rozier. Manina La fille sans voile est sans conteste l’un des meilleurs films de cet artisan de la série B à la française, qui toucha à tous les genres (du mélo au porno) avec toutefois une prédilection pour les très jolies filles  – il révéla Françoise Arnoul et Brigitte Bardot – et la plongée sous-marine – Willy Rozier était un athlète au physique avantageux. Deux passions qu’il peut assouvir à loisir dans Manina la fille sans voile, film d’aventures maritimes qui bénéficie de la présence juvénile de Brigitte Bardot dont c’est seulement la deuxième apparition à l’écran, la même année que Le Trou normand de Jean Boyer où elle avait un petit rôle aux côtés de la vedette Bourvil. Série BB ? On la voit beaucoup plus dans Manina la fille sans voile (c’est elle Manina) et si elle n’a pas de voile comme le dit le titre elle est la plupart du métrage en bikini (un sombre et un clair), dévoilant le spectacle extraordinaire d’un corps à faire mourir d’un infarctus le loup de Tex Avery. « Une gamine de 17 ans, pas encore blonde, mais déjà très photogénique, (qui) aimante les garçons et électrise bientôt tout le film dont elle devient le seul point d’attraction. » (Maud Ameline)

Il est vrai que Manina la fille sans voile est le seul film de Willy Rozier à être entré dans la légende en raison de la présence de la jeune BB en naïade à l’irrésistible sensualité. Bien avant l’explosion planétaire de Et Dieu… créa la femme (en 1956, son dix-huitième film !) elle s’impose d’emblée comme le nouveau sex symbol du cinéma français. Mais elle invente aussi, et instinctivement, un jeu moderne, faisant preuve d’un naturel ébouriffant dans le cinéma commercial tricolore de l’époque, d’une présence exceptionnelle, et pas seulement pour ses formes : son être, sa façon de parler détonnent, semblent échapper au contrôle du film et de son réalisateur. Comme l’écrira Serge Daney « Brigitte Bardot, c’est la chose la plus importante qui arrive au cinéma français en 54-55. Elle invente un dialogue à elle. Profondément stupide, mais inoubliable. »

Willy Rozier commet d’ailleurs l’hérésie de la doubler pour les séquences de chansons, passages les plus croquignolesques du film : Manina, qui rêve d’une carrière artistique, se met soudain à chanter – en corse, nous sommes sur l’île de Beauté, même si le film fut tourné à Cannes et à Nice – avec une voix qui n’est pas la sienne, et ce mauvais doublage, atrocement exécuté, se reproduit lorsqu’elle chante une nouvelle fois la même chanson, mais dans la langue de Molière. Une autre scène chantée, dans un cabaret au début du film, est également peu convaincante et ralentit le récit, sympathique histoire de chasse au trésor. Gérard, étudiant en archéologie à Paris, est persuadé de l’existence d’un trésor phénicien reposant sous la mer au large des côtes de la Corse. A Tanger il engage Eric un trafiquant de cigarettes qui accepte de lui louer son bateau pour partir à la recherche des amphores remplies de pièces d’or. A peine arrivés ils rencontrent un autre trésor, Manina, la fille d’un gardien de phare, adolescente solitaire et sauvage qui ne va pas les laisser indifférents et va exacerber la rivalité entre les deux hommes. Si le jeune premier Jean-François Calvé (Gérard) n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire du cinéma, le méchant Eric est interprété par l’excellent Howard Vernon, acteur très charismatique dont le visage et la silhouette inoubliables ont traversé d’innombrables bandes européennes, des séries B du terroir aux riffs expérimentaux de Jess Franco en passant par le dernier Fritz Lang, sans oublier Melville, Godard et le cinéma d’auteur français des années 80…

Le film de Rozier peut parfois sembler naïf, mais il n’est pas sans atouts : BB (qui dévoile un sein – son père intentera un procès à la production, qu’il perdra), Howard Vernon et de très belles prises de vues sous-marines réalisées par Rozier lui-même, plongeur émérite (comme dans L’Epave en 1949, autre titre recommandable du cinéaste.)

 

 

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