Olivier Père

Le Mépris de Jean-Luc Godard

« Quand j’y réfléchis bien, outre l’histoire psychologique d’une femme qui méprise son mari, Le Mépris m’apparaît comme l’histoire de naufragés du monde occidental, des rescapés du naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l’image des héros de Verne et de Stevenson, sur une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l’absence de mystère, c’est-à-dire la vérité. » (Jean-Luc Godard)

 

Dans le cadre de son partenariat annuel avec la Cinémathèque de Toulouse et le Festival Zoom Arrière autour de l’histoire du cinéma, ARTE diffuse ce soir à 20h50 Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard. Dans son récent classement des « plus beaux films de l’histoire du cinéma français » sollicitant les avis de plusieurs journalistes et amis de sa rédaction l’hebdomadaire « Les Inrockuptibles » plaça Le Mépris en deuxième position, entre La Maman et la Putain de Jean Eustache et La Règle du jeu de Jean Renoir. Nous vous faisons la confidence que nous l’avions cité en tête. Splendide tiercé, rejoint par Madame de… de Max Ophuls sur la quatrième marche du podium. Seul le principal intéressé, Godard, se demande encore ce que tout le monde trouve à son film.

Eh bien dans Le Mépris on trouve à peu près tout, à commencer par la beauté.

Lors du tournage en Italie d’un film adapté de « L’Odyssée » par Fritz Lang, Camille la femme de Paul, scénariste français, se détache peu à peu de son mari, et lui avoue le mépris qu’il lui inspire. Un des plus beaux films jamais réalisés sur le couple et sur le cinéma, Le Mépris est également – et à juste titre – le plus mythique des films de Godard, qui s’autorise un lyrisme qu’on ne retrouvera que beaucoup plus tard dans son œuvre (Nouvelle vague, 1990.) Ce lyrisme doit beaucoup à la partition sublime de Georges Delerue, à la photographie en couleur de Raoul Coutard et à l’utilisation par Godard de l’écran large et des décors des studios romains et de la villa de Curzio Malaparte au bord de la mer, à Capri.

Ce chef-d’œuvre du cinéma moderne, à l’incommensurable postérité (combien de films ont emprunté au Mépris ?) dialogue à la fois avec Voyage en Italie (Rossellini figure tutélaire pour Godard) et L’avventura (Antonioni, l’ennemi intime) sur le même thème, l’érosion d’un couple comme allégorie de la crise morale du monde moderne et de la fin des idéaux. Godard fait se télescoper dans le berceau culturel méditerranéen, entre ciel et mer, la tragédie et la mythologie antiques et les antihéros modernes, névrosés et désillusionnés. Sans l’aimer vraiment Godard a su filmer et trouver la vérité de Bardot, qui sous son apparente désinvolture donne sans doute plus d’elle-même que dans aucun autre film et investit magnifiquement le personnage tragique de Camille.

Le film est adapté d’un roman d’Alberto Moravia et devait au départ permettre à Godard, bénéficiant d’un budget plus important que d’habitude et d’une coproduction internationale, de mettre en scène Frank Sinatra et Kim Novak, ses premiers choix dans les rôles principaux. Le projet prendra une tournure plus européenne et Carlo Ponti le producteur italien acceptera finalement de voir Brigitte Bardot remplacer son épouse Sophia Loren.

Inutile de rêver à un autre film puisque Brigitte Bardot et Michel Piccoli sont extraordinaires, au diapason d’une œuvre dont chaque phrase, chaque image, chaque son résonne comme un emblème des possibilités et de la beauté du cinéma pour plusieurs générations, passées présentes et à venir de spectateurs.

Il existe une généalogie du cinéma moderne autour du Mépris, avec ses descendants et ses héritiers, Fassbinder (Prenez garde à la sainte putain) et Wenders (L’Etat des choses) en tête, mais aussi un ancêtre américain Joseph L. Mankiewicz (La Comtesse aux pieds nus, Cléopâtre) et un alter ego hollywoodien antérieur de deux ans seulement au film de Godard, lui aussi tourné en Italie, le sublime Quinze Jours ailleurs de Vincente Minnelli.

ARTE avait dont l’embarras du choix mais nous avons décidé de diffuser après Le Mépris, à 22h30, Voyage en Italie (Journey in Italy, 1953) chef-d’œuvre de Roberto Rossellini, titre emblématique pour les jeunes critiques des « Cahiers du Cinéma » et futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, François Truffaut, Jacques Rivette et bien sûr Jean-Luc Godard.

 

 

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