Olivier Père

Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick

Dans le cadre de son cycle de films autour de la Première Guerre mondiale ARTE diffuse demain soir à 20h50 Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957) de Stanley Kubrick avec Kirk Douglas, long métrage américain indépendant produit par Kubrick et James B. Harris, auxquels s’associa la vedette du film avec sa propre société Bryna Productions. Les Sentiers de la gloire demeure l’un des plus fameux titres consacrés au conflit, longtemps interdit et invisible en France (Il n’y sera distribué qu’en 1975.) C’est aussi la première des études de Kubrick sur la guerre à travers les âges, ses violences de masse et ses tragédies humaines, avant Spartacus, Barry Lyndon et Full Metal Jacket. Au sujet des Sentiers de la gloire nous nous sommes souvenus d’un court texte écrit par Jean-François Rauger (directeur de la programmation à la Cinémathèque française et critique au « Monde ») pour le catalogue du Festival « Entrevues » de Belfort en 1996, à l’occasion d’une programmation autour du cinquantième anniversaire de la Cinémathèque française. Le voici reproduit pour la première fois depuis dix-huit ans.

« Lorsque, dans une notule meurtrière, Godard compara le cinéma de Stanley Kubrick à celui de Stanley Kramer, il désignait sans doute aucun Les Sentiers de la gloire. Il n’avait pas vu que toute la matière romanesque du grand classicisme hollywoodien, parvenue à un degré d’épaisseur inouïe en cette fin des années cinquante, ne s’évanouissait pas là dans l’illustration laborieuse d’une « thèse » humaniste (la dénonciation des décimations « pour l’exemple » dans l’armée française en 1917) mais dans l’effroyable mise à nu d’une activité machinique pure. Ce qui ressemble à un dysfonctionnement (une armée fusillant ses propres hommes) correspond, en fait, à une pure et impitoyable mécanique inversible. Le début et la fin du film verrouillent entièrement celui-ci dans une vision nihiliste. Dans le salon baroque d’un château, deux hommes, presque des vieillards, décident l’assaut d’une position imprenable, pour des raisons avec lesquelles la stratégie militaire a peu à voir. La scène suivante, un travelling arrière, tout en lignes et en coudes, précédant le général responsable de l’attaque dans la tranchée peuplée de fantômes hébétés, dessine les circonvolutions abstraites d’un gigantesque labyrinthe. La dernière séquence anéantit l’humanisme spécieux du personnage incarné par Kirk Douglas (l’officier qui tente d’empêcher les exécutions.) Les soldats fredonnent, la larme à l’œil, une chanson de cabaret en allemand. Ils n’expriment pas une survivance de « l’humanitas » dans la barbarie, mais un pur fonctionnement pavlovien. » (Jean-François Rauger)

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