Olivier Père

Médée de Pier Paolo Pasolini

Mercredi débute la grande rétrospective consacrée à Pier Paolo Pasolini à la Cinémathèque française (jusqu’au 2 décembre), accompagnée d’une exposition sur la relation qu’entretenait le cinéaste poète avec la ville de Rome. A cette occasion, Carlotta ressort trois films de Pasolini : Mamma Roma, Salò ou les 120 journées de Sodome et Médée. Nous avons déjà évoqué les deux premiers titres dans ce blog, il est donc temps de parler du splendide Médée (Medea, 1969), qui est également disponible depuis le 2 octobre dans une superbe édition Blu-ray chez M6 Vidéo.

Maria Callas dans Médée

Maria Callas dans Médée

Réalisé avant sa « Trilogie de la Vie » (Le Décameron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et Une Nuits), trois adaptations littéraires qui engageaient un dialogue optimiste et trivial avec le public populaire, Médée clôt un cycle de films explorant les origines du mythe et du sacré, qui fascinaient Pasolini. Le cinéaste présentait lui-même son film comme « l’exténuation du thème religieux », qui lui permit ensuite de s’adonner aux plaisirs de la trivialité et de l’érotisme, prélude au plongeon dans l’abyme de Salò ou les 120 journées de Sodome.

Le film de Pasolini respecte le récit de la légende de Médée, d’après la tragédie d’Euripide. Jason, à la recherche de la Toison d’Or, rencontre Médée sur l’île de Colchide. Ils s’exilent à Corinthe où règne Créon. Quelques années plus tard, Jason trompe Médée avec la fille du roi Créon, Glauce. Pour se venger, Médée provoque par magie la mort de sa rivale, puis s’immole avec ses deux enfants sous les yeux de Jason impuissant. Dans Médée, Pasolini transforme Laurent Terzieff en inoubliable Centaure et offre à Maria Callas son unique rôle au cinéma. La cantatrice, depuis longtemps courtisée par les producteurs et les cinéastes, avait décliné toutes les propositions, dont de nombreux projets d’opéras filmés, avant d’être intéressée par un « Macbeth » réalisé par Antonioni ou Bolognini qui ne se fera jamais.

Devant la caméra de Pasolini, Callas se révèle une grande tragédienne, par la seule force de son visage et de son regard, presque sans le recours des mots. Elle parvient à démythifier le personnage de Médée en lui apportant davantage d’humanité, jusque dans une paradoxale douceur, en opposition tacite avec la vision plus intellectuelle de Pasolini.

Comme Œdipe Roi et l’épisode du désert de Porcherie, Pasolini relit dans Médée le mythe, en le plongeant dans un passé anhistorique et barbare qu’il fait crouler sous les somptueux ornements folkloriques, musicaux et vestimentaires des civilisations anciennes d’Afrique et d’Orient. Pasolini invente un cinéma de poésie qui fuit la médiocrité prosaïque de l’Italie moderne et de la société matérialiste. C’est un cinéma à la fois magique et dialectique du retour aux sources de l’art, du mythe, de l’homme, des racines culturelles et intimes. Grâce à un détour par le tiers-monde, Pasolini s’approprie la tragédie de Médée, comme précédemment l’histoire d’Œdipe ou la vie du Christ, pour évoquer son rapport à sa mère, au peuple ou au sacré. Médée est moins célèbre que L’Évangile selon Saint Matthieu, moins provocateur que Théorème ou Porcherie. La rétrospective à la Cinémathèque française et la ressortie de Carlotta permettra de redécouvrir une œuvre d’une grande beauté et l’interprétation géniale de Maria Callas qui malgré sa légende personnelle parvient à s’intégrer dans l’univers et le cinéma de Pier Paolo Pasolini.

Pier Paolo Pasolini et Maria Callas sur le tournage de Médée

Pier Paolo Pasolini et Maria Callas sur le tournage de Médée

 

Sur Mamma Roma et Salò ou les 120 journées de Sodome on peut lire :

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/10/28/mamma-roma-de-pier-paolo-pasolini/

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/05/15/salo-ou-les-120-journees-de-sodome-de-pier-paolo-pasolini/

 

 

 

 

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