Olivier Père

Possession de Andrzej Zulawski

ARTE diffuse cette nuit, à 0h35, Possession (1981) de Andrzej Zulawski. Horaire nocturne qui s’accorde à l’atmosphère cauchemardesque et hallucinatoire d’un film à l’ambition, mais aussi à la violence et aux visions hors du commun, c’est le moins que l’on puisse dire. Après son premier film français L’important c’est d’aimer (1975) et son retour en Pologne pour Le Globe d’argent long métrage de science-fiction au tournage interrompu, Zulawski réalise ce qui reste sans doute son film le plus impressionnant et le plus réussi, objet d’un culte amplement mérité. Dans un Berlin lugubre coupé en deux par le Mur, Mark un homme aux activités mystérieuses (un espion ?) retrouve sa femme Anna et son fils Bobby après une longue absence. Mais le couple se meurt, et le mari découvre que son épouse a un amant qu’elle rejoint dans un vieil immeuble en face du Mur, négligeant leur petit garçon. Cet amant invisible est une créature monstrueuse qui échappe à l’entendement, la raison et tous les systèmes. Ce pourrait être le diable, mais dans le film le monstre est clairement désigné comme un dieu, ou plutôt Dieu, et par la femme comme la foi qui est née en elle, au sens figuré comme au sens « propre » (voir l’hallucinante scène de transe d’Isabelle Adjani dans les couloirs du métro berlinois qui se termine par une fausse couche sanguinolente : cette scène survient après une prière au pied du Christ en croix dans une église de la ville.) Elle va commettre plusieurs meurtres pour protéger la créature qui vit tapie dans une chambre et prend progressivement une forme humaine, se nourrissant des victimes de sa maîtresse. L’agonie de cette histoire d’amour correspond à celle d’une Europe en crise, à quelques années de l’effondrement du communisme. Les fantômes des guerres et des totalitarismes du XXème siècle hantent Berlin et l’histoire du film, dont la conclusion prophétise de nouvelles guerres et destructions.

Possession est un film monstre dans tous les sens du terme. Il est impossible de le définir comme un film d’horreur, même s’il emprunte les images saisissantes et l’atmosphère du cinéma gore européen, et baigne dans un climat angoissant, chargé de visions hyperréalistes et fascinantes, à l’instar des films de Polanski, Argento et quelques autres. Les effets spéciaux de Carlo Rambaldi, plus proches de ses bricolages artisanaux du Cinecittà des années 70 que de ses travaux pour Spielberg, ajoutent une dimension grand guignolesque qui n’était sans doute pas voulue par Zulawski et ses intentions mystiques, politiques et métaphysiques. Mais cela permet quand même au film de dialoguer avec un autre titre important du début des années 80, The Thing de John Carpenter, et cela ajoute à la confusion, au chaos et à l’excès d’une œuvre unique en son genre, qui transcende les films antérieurs de Zulawski et ceux qu’il réalisera par la suite, peu convaincants à quelques exceptions près. Possession est aussi un psychodrame de larmes, de cris et de sang qu’on ne peut pas appréhender rationnellement, une expérience aussi viscérale que mentale. Le thème du double apparaît avec le personnage de la douce institutrice de Berlin Est, également interprétée par Adjani, tandis que le monstre dans la dernière phase de sa métamorphose emprunte l’apparence physique de Mark (Sam Neill, excellent.) Les enveloppes charnelles sont interchangeables, le Mal est diffus et se propage jusqu’à l’apocalypse finale. Dans Possession, l’hystérie, la folie ne sont ni frelatées ni caricaturales et la violence vraiment paroxystique. La mise en scène nerveuse de Zulawski, la photographie clinique et sans ombre de Bruno Nyutten et la musique d’Andrzej Korzynski sont extraordinaires, sans parler de l’interprétation intense et démente d’Isabelle Adjani. Possession est le chef-d’œuvre de Zulawski qui donne ici le meilleur de lui-même, son extraordinaire maîtrise du medium cinématographique et son approche doloriste des relations humaines, son pessimisme radical et très slave, avant un irréversible dérapage dans le grotesque gesticulatoire et éructant, avec des films qui se perdent en route malgré des introductions toujours fulgurantes.

 

 

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