Olivier Père

A la recherche de Mister Goodbar de Richard Brooks

Le distributeur Action-Théâtre du Temple ressort aujourd’hui sur les écrans français A la recherche de Mister Goodbar (Looking for Mr. Goodbar, 1977) de Richard Brooks et c’est une bonne action. En effet ce film est resté inédit en DVD et invisible depuis sa sortie, à l’exception de très rares diffusions à la télévision, et cela malgré le succès public qu’il rencontra en son temps. Succès de scandale considérable aux Etats-Unis et en Europe en raison du contenu sexuel du film mais qui fut occulté par sa mauvaise réputation, et son éreintement par la critique.

Diane Keaton et Tuesday Weld

Diane Keaton et Tuesday Weld

C’est enfin l’occasion de revoir une œuvre passionnante et symptomatique du cinéma américain des années 70, où les jeunes « wonder boys » du Nouvel Hollywood côtoient des vieux briscards qui n’ont pas dit leur dernier mot et signent souvent des œuvres plus audacieuses et radicales que leurs cadets. A ce titre, il est plus intéressant de comparer A la recherche de Mister Goodbar avec Bande de flics de Robert Aldrich ou Dressé pour tuer de Samuel Fuller qu’avec Taxi Driver ou Hardcore, avec lesquels il entretient pourtant une relation directe sur les thèmes du puritanisme et de la pornographie. A la recherche de Mister Goodbar pose un regard clinique sur une Amérique malade, victime d’une crise morale et d’un dérèglement des mœurs qu’elle ne contrôle plus. C’est presque un film enquête ou un film dossier. L’expérience de la liberté de l’héroïne du film peut en effet s’étendre à celle de tout un pays : Issue d’une famille modeste et catholique fervente, Theresa (Diane Keaton) a vécu un enfance difficile et son épanouissement physique a été freiné par une longue maladie des os qui lui a valu plusieurs années de paralysie. Son émancipation tardive d’un foyer parental très strict dominé par un père tyrannique lui offre enfin l’occasion de goûter aux plaisirs de la chair, rencontrer un amant décevant pour ensuite multiplier les rencontres sexuelles, fréquenter les bars louches et les boîtes disco (le film est rythmé par les tubes de l’époque de Diana Ross et Giorgio Moroder, entre autres), boire, consommer de la drogue, en quête de sensations et d’expériences, mais surtout de liberté. Le contraste entra sa vie diurne (elle enseigne à des enfants sourds muets dans un établissement spécialisé) et nocturne, sa bonne éducation et son comportement licencieux s’aggrave et aura des conséquences tragiques.

L'hallucinante image finale du film

L’hallucinante image finale du film

Richard Brooks, scénariste passé à la mise en scène, devenu dans les années 50 un spécialiste des sujets sociaux et des adaptations littéraires, a souvent été considéré comme un cinéaste besogneux, davantage un homme d’idées que de style. Il a pourtant signé quelques films beaux et puissants comme Elmer Gantry, le charlatan ou De sang froid. A la recherche de Mister Goodbar s’inscrit dans cette veine, avec un traitement beaucoup plus hétéroclite en rupture totale avec le classicisme hollywoodien. Brooks mélange les tons et les genres. Si Diane Keaton est au cœur du film – pas de scène dont elle ne soit le pivot, sauf une seule vers la fin – ses différentes rencontres et confrontations avec des membres de sa famille ou ses amants introduisent des styles différents et des ruptures permanentes de ton. Brooks ose des scènes grotesques dans un récit dramatique, des incartades oniriques ou mentales dans un contexte réaliste. Cette narration déstabilisante trouvera son point culminant avec la conclusion brutale du film, suffisamment choquante et inattendue pour qu’on ne la dévoile pas ici : sans doute la fin la plus dérangeante du cinéma américain contemporain.

On peut aisément imaginer et comprendre les réactions violentes d’une certaine partie de la critique, plus idéologique qu’aujourd’hui, devant un film qui présente un point de vue aussi désenchanté, sombre et pessimiste sur la libération sexuelle, le féminisme et un certain mode de vie. A la recherche de Mister Goodbar fut jugé réactionnaire, grossier, offensant dans sa représentation des marginaux ou des homosexuels. On peut être étonné que Brooks à la recherche d’hyperréalisme et de modernité préfère tourner son film en studio : cela confère au film une texture encore plus hétérogène, presque schizophrène, au diapason de ce que Brooks veut mettre en scène. Richard Brooks ne fait pas toujours dans la finesse, mais ce film volontairement trivial et exagéré atteint une formidable lucidité, et se garde bien de juger moralement, de condamner ou de s’apitoyer sur son héroïne, admirable jusque dans ses égarements, intelligente jusque dans ses erreurs, et génialement interprétée par Diane Keaton. Sa performance dans A la recherche de Mister Goodbar mérite à elle seule le détour. Il faut aussi saluer les interprétations de Tuesday Weld dans le rôle de la sœur de Theresa, Richard Gere (photo en tête de texte) dans l’un de ses premiers rôles et le jeune Tom Berenger dans une apparition marquante.

Diane Keaton

Diane Keaton

 

 

Catégories : Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *