Olivier Père

Le Havre de Aki Kaurismäki

Le Prix Louis-Delluc a été décerné le 16 décembre au Havre d’Aki Kaurismäki. Bon choix. En août, après sa présentation en sélection officielle au Festival de Cannes, le nouveau long métrage du cinéaste finlandais enchantait le public de la Piazza Grande au Festival del film Locarno. Il est sorti mercredi dans les salles françaises distribué par Pyramide (partenaire historique de Kaurismäki en France), et en Suisse romande le même jour. Il a déjà conquis les écrans de la Suisse allemande depuis le 29 septembre et de la Suisse italienne le 25 novembre (distribué par Filmcoopi).

Sous sa modestie de façade et son autodérision, Aki Kaurismäki est un styliste capable de mettre en scène avec une formidable économie de moyens, en noir et blanc ou en couleur, des films à l’impressionnante beauté plastique. Le soin maniaque apporté au cadre et à la lumière, la rigueur de chaque plan, la précision et la subtilité des dialogues contredisent la désinvolture apparente du cinéaste et sa réputation de farceur. Kaurismäki vénère le cinéma muet, Chaplin, Ozu, Bresson, Dreyer, De Sica, Becker, Melville. Son cinéma est devenu le chantre des asociaux, des prolétaires, des habitants des faubourgs, avec des films poétiques qui allient lutte des classes, culture populaire, humour noir, scepticisme inquiet à l’encontre du monde moderne et un goût prononcé pour le mélodrame révolutionnaire. Le Havre, son nouveau film, est l’un de ses plus beaux, l’un de ses plus émouvants. Kaurismäki tourne pour la seconde fois en France et en français après La Vie de Bohême (le personnage de Marcel Marx, que l’on retrouve dans Le Havre, toujours interprété par le merveilleux André Wilms, en était déjà le héros.) Les dialogues, ciselés et élégants, sont au diapason d’un interprétation magnifique. Le Havre, ville hors du temps qui a gardé une patine rétro authentique, lui sied à merveille. Kaurismäki visiblement aime les années 50, comme le rocker local Little Bob qui fait une apparition inoubliable dans le film, le temps d’un bloc frontal et musical, extrait d’un de ses concerts. Kaurismäki retrouve ses vieux complices Kati Outinen, André Wilms et Jean-Pierre Léaud, et invite à les rejoindre Jean-Pierre Darroussin, excellent en policier solitaire et melvillien. Le Havre parle d’immigration, de racisme, de solidarité et de résistance de manière presque intemporelle, mais le film trouve un écho dans l’actualité la plus brûlante et la société dans laquelle nous vivons. Comme Chaplin (le film est une référence directe au Kid), Kaurismäki touche à l’universel et nous bouleverse grâce à une histoire simple mais essentielle, et réussit un petit chef-d’œuvre humaniste.

Catégories : Actualités · Coproductions

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