Une censure déjà effective
« Toute vérité, et d’autant plus si elle est relayée par un journaliste, est considérée comme un récit alternatif, et donc comme l’ennemi du pays » dénonce un ancien journaliste égyptien. «Tout travail d’investigation est déjà soumis à de grandes menaces. Il n’y a déjà plus d’espace pour la critique en Egypte. » Et quand quelques voix dissidentes arrivent à se faire entendre, les autorités cherchent à les faire taire.
Le 23 novembre dernier, le rédacteur en chef du média indépendant Mada Masr se faisait arrêter à son domicile. Le jour d’après, les locaux de la rédaction étaient perquisitionnés : « Ils ont fouillé les ordinateurs, les téléphones, ont pris et photographié des documents. Ils ont tout passé au peigne fin » rapportait Lina Attallah, l’une des fondatrices du journal, à nos confrères de Libération. La parution d’un article de Mada Masr sur l’un des fils d’Abdel Fattah Al-Sissi muté à l’ambassade égyptienne de Moscou alors qu’il assumait de lourdes responsabilités en tant qu’officier aux renseignements généraux, semble avoir motivé l’opération d’intimidation et la descente de police.
Deux jours après, l’arrestation des journalistes Solafa Magdy, Hosam El-Sayyad et Mohamed Salah faisait l’objet de tribunes à travers le monde, réclamant leur libération immédiate. Après comparution devant le Tribunal de la Sûreté de l’Etat, les journalistes ont été accusés d’avoir intégré une organisation terroriste tandis que Solafa Magdy a été, aussi, accusée de diffuser de fausses informations.
Selon plusieurs activistes égyptiens, l’amendement sur le point d’être adopté par le Parlement, ne changera pas vraiment la donne et se contentera de «légaliser la répression ». Cette étape ne viendrait que « parfaire un processus de verrouillage qui s’est mis en place depuis longtemps » faisant « basculer peu à peu le pays dans un totalitarisme » au nom d’une lutte contre le terrorisme, considère Claire Talon.
Une « carte » qui est « jouée à chaque fois pour justifier l’injustifiable » dénonce Katia Roux, chargée de plaidoyer à Amnesty International France, qui appelle à une mobilisation internationale. Le rôle de partenaire commercial majeur de l’Egypte avec la France (armement, outils de surveillance..) et celui de stabilisateur régional dans une zone où le terrorisme islamique sévit particulièrement, motiverait le silence et l’inaction de la communauté internationale. « La prise de parole de dirigeants étrangers participe significativement à la protection de ceux qui tentent de s’exprimer » estime Katia Roux, « l’Egypte doit désormais sentir qu’on la regarde ».
En décembre 2019, le Comité de Protection des Journalistes recensait 29 journalistes derrière les barreaux, faisant de l’Egypte le troisième pays où l'on compte le plus de journalistes en prison, juste après la Chine et la Turquie.